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Une météo hors-sol : les présentateurs face au changement climatique

Par Léna Lebouteiller

Plusieurs fois par jour, les présentateurs météo s’invitent dans les radios de nos voitures, dans les télévisions de nos maisons et jusqu’aux papotages du quotidien. A terme, ils deviennent presque des membres de la famille, un peu comme le dérèglement climatique. Une profession essentielle, mais encore loin d’être à la hauteur du défi.

Face aux multiples catastrophes et anomalies environnementales, les présentateurs météo ont un rôle non négligeable. Marie-Pierre Planchon, qui fait depuis des années le bilan de la pluie et du beau temps le soir sur France Inter, a affirmé à un journaliste de Reporterre que “[ne pas] réveiller les gens sur le fait que les conditions de notre vie sur Terre sont en danger, au vu de l’urgence climatique, ce serait faire une météo hors-sol”. Lors du désastreux été 2022, tout un chacun a enfin pu se rendre compte des conséquences directes du dérèglement climatique sur nos conditions de vie sur Terre. Une prise de conscience qui amorce un plus ample mouvement, notamment dans le domaine de la météo.

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Être au fait de la crise climatique est une chose. C’en est une autre de faire le lien entre son traditionnel bulletin météo et le climat global. Dans une tribune publiée en mars 2019 par le quotidien britannique The Guardian, Adam Corner, directeur de recherche à Climate Outreach, réclamait déjà “un discours public quotidien qui fait le lien entre les phénomènes météorologiques que nous observons sous nos fenêtres et les changements sans précédent qui se produisent actuellement dans le climat mondial”. 


 

Le poids des mots


Un temps “clément” ou “maussade”, une après-midi “douce” ou “capricieuse”, des “perturbations” ou de “belles éclaircies”... Ces banales expressions, les présentateurs météo les connaissent bien, à tort. Au beau milieu du mois de juin 2022, le Monsieur-météo de BFM TV tournait le dos à ce vocabulaire déphasé. “La France va cramer cette semaine”, lâchait-il devant une carte rouge écarlate. Une rondeur qui a su faire parler d’elle. Plus tard, il a justifié la scène : “Je pense qu’il faut qu’on change notre manière de parler de ça, parce que ça n’imprime pas.” Une partie des présentateurs, tous témoins en première ligne de l’emballement des températures et de l’intensification des catastrophes, a pris conscience du défi. Pourtant, il suffit d’écouter quelques bulletins météo pour constater le frappant hiatus entre le ton, le registre, et les implications des phénomènes rapportés. Au point que certains, en pleine sécheresse, nous invitent allègrement à sortir le transat. Pendant ce temps, les agriculteurs grincent des dents et se serrent la ceinture. “Le beau temps des uns, c’est le mauvais temps des autres”, rappelait le journaliste météo de France 3 Laurent Romejko au micro de BFM TV en mai dernier.

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Depuis un an, en France métropolitaine, 292 journées ont été plus chaudes que la moyenne des températures mesurées entre 1971 et 2000. © Météo France et France Info

S’adresser à tout le monde est certes un jeu d’équilibriste, mais c’est surtout un devoir, comme le défend l’Allemand Özden Terli, présentateur et météorologiste pour la chaîne publique ZDF. “Cet été, on ressent directement la crise climatique”, pointait-il lors d’un bulletin d’août 2022, faisant ainsi clairement le pont entre la météo et le climat. Son métier revêt un nouveau sens eu égard au contexte, qui appelle selon lui à une “certaine forme de responsabilité”.

 

Des apporteurs de nouvelles

 

Ce constat n’est pas nouveau. En 1994 était créé le Forum international de la météo et du climat, dont l’objectif est de former les présentateurs météo aux enjeux du dérèglement climatique. Trois ans plus tard, à la Maison Blanche, le président Clinton n’hésitait pas à placer ses espoirs dans la communauté des météorologues tout en les invitant à consacrer un peu du temps d’antenne à l’éducation des Étasuniens sur le changement climatique, en vain. De fait, cette visée didactique divise. Pour le journaliste allemand Terli, il s’agit non pas d’éduquer qui que ce soit mais de “présenter des faits”. “Nous le faisons parce que c’est la réalité”, précise-t-il. Une vision qui tranche avec la posture quasi héroïque de Jeff Berardelli, présentateur sur la huitième chaîne de télévision étasunienne, et pour qui il s’agit en somme de “sauver le monde”. Toujours est-il qu’un rôle de sensibilisation apparaît de plus en plus évident, notamment via la vulgarisation des constats scientifiques souvent rendus indigestes par la complexité des données et du jargon.

 

En France, la figure phare du bulletin météo de la première chaîne, Évelyne Dhéliat, est la cheffe de file de cette prise de conscience. Présente chaque année au Forum international de la météo et du climat, visage du bulletin météo hypermédiatisé d’août 2050 qui fait passer Paris au-dessus de la barre des 40 degrés, elle incarne une conception très pragmatique de la profession. Déjà en 2001, dans l’émission “Piques et polémiques” de France 3, l’animateur Paul Wermus lui demandait si les présentateurs météo étaient des apporteurs de mauvaises nouvelles. Sa réponse est limpide : “Ce sont des apporteurs de nouvelles, tout court. C’est-à-dire que quand on a des périodes de sécheresse, on est ravis de dire ‘enfin, la pluie arrive’”. 

 

“Beaucoup de gens nous prennent comme référence”

 

Assumer ce rôle renouvelé ne relève en rien d’une concurrence avec les collègues scientifiques. Rappelons la particularité française : à la différence des autres pays du globe, la plupart des présentateurs en France ne sont pas des prévisionnistes. Autrement dit, le plus souvent, ce ne sont pas des météorologistes qualifiés mais bien des animateurs qui rapportent les observations des scientifiques. Laurent Romejko décrit une certaine forme de complémentarité entre les météorologistes et les présentateurs : “Ils ont la connaissance et nous un sens de la communication et de la vulgarisation.” De plus, les bulletins météo ont ceci d’exceptionnel qu’ils sont généralement perçus comme apolitiques, inspirant ainsi une confiance dont le journalisme traditionnel ne peut certainement plus se targuer. 

 

Les présentateurs météo ont également la faculté d’attirer l’attention sur la dimension locale. C'est aujourd’hui une nécessité. Depuis la télévision espagnole, le météorologue Albert Baniol en est convaincu : "Nous devons parler de choses proches de chez nous, pas tellement de l'Arctique.” Un constat qui rejoint celui de la physicienne Nuria Seró, également présentatrice : “C’est là que l’on se connecte avec les gens. Beaucoup de gens nous prennent comme référence.” Le journaliste météo incarne, en somme, le vecteur médiatique idéal : il a la faculté de s’adresser, rapidement et simplement, à une large audience qui en retour lui confère sa confiance.

 

Cette confiance n’annule pas pour autant le défi que représente la météo hyperlocalisée et précise, à portée de smartphone. Pour convaincre de leur utilité, ces journalistes doivent donc mettre en avant leur valeur ajoutée : le décryptage. Régulièrement sollicités sur les plateaux en tant qu'experts, ils bénéficient aujourd’hui d'un poids médiatique accru. La demande de vulgarisation est forte, d’où le développement concomitant de leur statut et de leur formation. Un moment opportun pour se réinventer, donc.

 

La mutation entravée du métier

 

Toutefois, les évolutions attendues se heurtent à diverses barrières. D’abord, aussi paradoxal cela puisse-t-il paraître, le milieu de la météorologie a abrité son lot de climatosceptiques. En France, on tente de lisser ces aspérités. Philippe Verdier, jusqu’alors chef du service météo de France Télévisions, a été mis à pied en 2015 suite à la publication de son livre remettant en cause les dangers du réchauffement climatique. Autre épisode : l’essai-roman “Climat. Et si la terre s’en sortait toute seule ?” de Laurent Cabrol, ex-Monsieur météo d’Europe 1 de 1986 à 2021. Celui qui souhaitait “relativiser le rôle de l’homme dans le réchauffement climatique” ne sera évincé que treize ans après la publication de ce texte, que Le Monde accusera de “supercherie”. Outre-atlantique encore, la chaîne Fox News, artisane de la désinformation à l’américaine, assume un déni climatique décomplexé. Même s’il devient de plus en plus difficile de l’endosser, le climatoscepticisme a la peau dure, et ralentit la remise à niveau de la pratique des journalistes météo.

 

Mais ce n’est pas tout, car même si certains présentateurs réclament plus de temps d’antenne, la direction des médias conserve le dernier mot. Le format étroit rend difficile, si ce n’est impossible, de rendre à la météo sa profondeur climatique. Al Roker, l’emblématique météorologue de la chaîne NBC, se souvient de la réticence de la direction sur ce point : “c’était mettre du brocoli dans les mac and cheese [pâtes au fromage, ndlr]”. Ce n’est qu’en avril 2019 que The Guardian est devenu le premier journal à publier en plus de la météo une info quotidienne sur les émissions de CO2 dans le monde. La même année, après avoir présenté les prévisions météo à la BBC durant presque vingt ans, Bill Giles a enjoint les chaînes de télévision à réviser radicalement leurs bulletins météo pour y intégrer de l’information sur le changement climatique à raison de cinq à dix minutes supplémentaires de temps d’antenne. Les avancées en ce sens restent rares, et beaucoup profitent de leur visibilité sur les réseaux sociaux pour partager librement leurs analyses et points de vue.

 

Dans l’Hexagone, les initiatives fleurissent timidement, comme “Météo à la carte” de Laurent Romejko (France 3). Depuis septembre 2018, la journaliste Chloé Nabédian, présentatrice sur la deuxième chaîne jusqu’en décembre dernier, étoffe quant à elle son temps d’antenne par des analyses sur le dérèglement climatique et des photos percutantes. Un succès probant : 4 points de part d’audience supplémentaires en cinq ans. La présentatrice regrette toutefois une durée dérisoire par rapport au poids de la météo dans le quotidien des gens : “Dans l’ensemble, on ne parle du climat que lorsqu’arrivent des phénomènes météorologiques. Il faudrait en parler tous les jours, au même titre que l’on parle quotidiennement de la consommation, de la politique ou de l’économie.” Ces quelques porte-voix instillent doucement l’évolution du métier alors que les cartes qu’ils présentent rougissent à toute allure, au risque que s’essouffle un modèle inadapté. Les météorologues étasuniens, eux, ont su repenser leur métier.

 

Tirer la leçon du modèle américain

 

En 2010 était testé le programme Climate Matters, conçu comme “programme de ressources locales enrôlant et habilitant les présentateurs météo de la télévision en tant qu'éducateurs climatiques locaux, fiables, scientifiques et apolitiques". A l’automne 2019, le projet avait déjà aidé près de 800 météorologues de la télévision étasunienne. De fait, dans cet immense pays où frappent sporadiquement tempêtes, ouragans, inondations et incendies, la qualité d’un bulletin météo a un enjeu sécuritaire. S’ensuivit une augmentation significative du temps d’antenne consacré au dérèglement climatique depuis 2012. Les enquêtes menées en aval du programme ont permis de “[suggérer] que les reportages sur le climat réalisés par les présentateurs météo de la télévision [...] peuvent améliorer la culture climatique du peuple américain.” De quoi inspirer le journalisme météo européen, visiblement à l’ouest.

 

En février 2023, en pleine sécheresse hivernale, le rôle des présentateurs météo doit être rappelé. En tant que vecteurs médiatiques, ils participent de la construction de nos imaginaires collectifs, et in fine dans la compréhension des répercussions présentes et futures de la catastrophe climatique. Et la population en demande. Les rédactions doivent donc revoir le temps d’antenne accordé aux bulletins météo, le gouvernement plancher sur des programmes à l’instar de Climate Matters pour financer et accélérer la transformation du métier, et les présentateurs se mobiliser en ce sens. Il s’agit d’un défi essentiel mais méconnu autour des questions climatiques, pourtant devenues des marronniers. Cela renvoie en définitive à une responsabilité citoyenne d’agir à la hauteur de l’enjeu climatique qui, au contraire des averses, n’a rien de passager.

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Mise à jour : Il y a de ces hasards du calendrier qui redonnent le sourire. Deux jours avant la publication programmée de cet article, France 2 et France 3 ont annoncé le lancement de leur nouveau bulletin météo, désormais baptisé “journal de la météo et du climat”. Une remise en perspective de la météo qui prend 1 minute 30 à 2 minutes de plus. Ces secondes se révèlent précieuses pour redonner leur profondeur à des températures loin d’être “douces” pour notre avenir. En espérant maintenant que cette initiative se généralise pour l’ensemble des chaînes de télévision, qui pourraient s’appuyer sur ce bulletin météo-climat pour lancer leur propre format enrichi.

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