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Le football, sortie de secours hasardeuse pour les jeunes des quartiers populaires anglais

Par Armand Bécasse

Entre janvier et novembre 2022, plus de 11 502 agressions à l’arme blanche ont été recensées à Londres. La plupart des victimes sont des adolescents et des jeunes adultes. Sous fond de pauvreté, de criminalité et d’oubli de la part des gouvernements successifs, les perspectives d’avenir sont maigres pour les jeunes des quartiers populaires de la capitale anglaise. Le football peut-il, dès lors, être la solution ?

Avec l'initiative No more red, le club d'Arsenal, situé dans le nord de Londres à Islington, et Adidas ont pour objectif de « proposer aux jeunes un meilleur accès à des personnes exemplaires, inspirantes, et de mettre la lumière sur les individus talentueux qui font la différence dans leur communauté ». Pour ce faire, plus d’une dizaine d'associations ont mis en place le programme au sein de leur communauté. Chaque jeune faisant des actions répétées afin d’aider sa communauté se voit récompensé par Arsenal d’un maillot blanc, de places pour les matchs, et surtout des rencontres avec des personnalités tel que Ian Wright ou Idriss Elba, de jeunes Londoniens ayant réussi à s’en sortir : des « role models ».

 

Si Arsenal met en place ce type de programme c’est que le football est considéré, par nombre d’Anglais, comme une issue de secours à la précarité dans un pays particulièrement inégalitaire (1). Pour ceux délaissés par l’école et l'État, s’en sortir avec le ballon est un rêve. Concrètement, le football en lui-même est viable dans le développement des jeunes. Le sport leur permet notamment de s’occuper différemment, de se dépenser physiquement à une époque où la sédentarisation est un problème global, mais aussi de développer des compétences sociales et un certain professionnalisme. En addition à tous ces bienfaits, les académies accueillant les joueurs très jeunes proposent quasi systématiquement un suivi de scolarité et une aide psychologique permettant à ceux en ayant besoin de se construire une enfance stable. En Angleterre, cela se traduit depuis 2012 par la mise en place du « Elite player performance plan ». Grâce à celui-ci, tous les joueurs entre 16 et 18 ans dans une académie ont un suivi scolaire. Diplômés d’un BTEC sport diploma, les jeunes joueurs bénéficient aussi d’un suivi psychologique pendant et après leur temps à l’académie.
 

Des exemples ayant connu ce parcours et ayant été couronnés de succès, il y en a. Ils inspirent les jeunes qui se reconnaissent dans leurs idoles et qui veulent marcher dans leurs pas. Marcus Rashford en fait partie. Élevé par une mère célibataire et caissière, Rashford et ses 4 frères et sœurs n’ont pas souvent eu de repas complets dans leurs assiettes. Depuis sa banlieue de Manchester, Marcus Rashford a tout misé sur le football pour sortir sa famille de la misère. C’est sa mère qui le pousse à rejoindre les Fletcher Moss Rangers, club du dimanche du quartier. Très rapidement, le jeune Rashford rejoint l’académie de Manchester United, et le reste appartient à l’histoire. Aujourd’hui, 27 ans et titulaire pour Manchester United, Marcus Rashford se bat pour donner à d'autres jeunes qui n’ont pas une opportunité comme la sienne, une chance de vivre décemment. Ainsi, l’Anglais a lancé en 2021 une campagne afin de permettre aux 20% d’enfants éligible aux repas gratuits à l’école de les obtenir pendant les vacances d’été. Selon lui, beaucoup de familles avaient été financièrement touchées par la crise du Covid-19, période où les repas ne leur étaient pas offerts. Le joueur a écrit une lettre ouverte à l’ancien premier ministre Boris Johnson "Ma mère travaillait à temps plein et gagnait le salaire minimum pour s'assurer que nous ayons toujours un bon repas du soir sur la table. Mais cela ne suffisait pas. Notre famille dépendait des petit-déjeuner des clubs, des repas scolaires gratuits et de la générosité des voisins et des entraîneurs".

 

L'impossibilité de combattre la pauvreté uniquement avec le football

L’idée que le football soit une issue de secours à la pauvreté à toutefois des limites. Bien que les success stories telles que celle de Rashford existent, elles restent des cas exceptionnels qui représentent un grain de sable quand on les compare  au nombre de jeunes qui ne seront jamais professionnels. 

 

Selon la English FA en 2015, moins de 0.5% des joueurs de moins de 9 ans en académie signeront un contrat professionnel. Il est donc difficile pour les jeunes rêvant de s’en sortir grâce au football de réaliser leur rêve. Une utopie donc, tristement perpétuée par le système de scouting et d’académie dès le très jeune âge. En effet, se faire repérer par les plus grands clubs dès l’âge de 7, 8 ou 9 ans suscite de l’espoir. L’espoir que cet enfant peut être la clé des problèmes financiers de sa famille, celui qui s’en sortira et qui élèvera le niveau de vie de ses parents, frères et sœurs. Seulement, quand à 15/16 ans l’académie leur ferme leurs portes, ces jeunes ayant été si près du graal sont emparés d’un grand desespoir. Selon une étude de 2015 de l’université du Tennessee, 55% des jeunes joueurs souffrent d’une détresse psychologique à un niveau clinique dans les 21 jours après avoir été rejeté d’une académie. Une statistique tristement appuyée par des faits en Angleterre quand, en 2013, un jeune de 16 ans s'est suicidé une semaine après son rejet d’une académie d’un club de première division. L’avocate de la famille avait ensuite expliqué "J'estime que c'est [...] ce moment crucial qui a écrasé la vie d'un jeune garçon, d'un jeune homme et tous les rêves qui l'accompagnent. C'est, à mon avis, le facteur le plus important qui a conduit aux événements qui ont abouti [à son suicide]. Je pense qu'il est très difficile de faire naître les espoirs d'un jeune homme et de les voir anéantis à un âge critique, lorsqu'un garçon devient un homme. C'est très cruel d'être pris en défaut sur tous les plans".

 

Ce problème majeur dans le monde du football doit être attaqué à la racine. Au-delà du travail d’accompagnement post-rejet de la part des centres de formations qui commence à se mettre en place mais devrait être systématique, c’est une remise en question du discours qui peut être servi aux apprentis footballeurs. Un équilibre doit être trouvé entre, d’une part, la success story qui permet aux jeunes de sortir d’un quotidien morose via le sport et d’imaginer une vie ou le ciel serait plus bleu et, d’autre part, un discours réaliste permettant aux rêveurs de garder les pieds sur terre et de ne pas tout miser sur le football afin de pouvoir rebondir en cas d’échec. C’est la responsabilité de tous les acteurs de football.

Surtout, tous les jeunes des quartiers populaires ne s'en sortiront pas avec le football. Il est donc nécessaire de repenser notre modèle de société plutôt que de laisser à des clubs et des multinationales la réalisation de la promesse d'élévation sociale.  

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(1) Selon le Ministère du travail britannique, plus d'une personne sur cinq est considérée comme pauvre au Royaume-Uni, soit 22 % de la population (14,5 millions de personnes). C'est presque trois fois plus qu'en France où 7,6% de la population vit sous le seuil de pauvreté (avec moins de 940€ par mois). 

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