top of page

Crédits : Francisco Seco - AP

Le meurtre de Mahsa Amini, étincelle qui a déclenché la gronde populaire en Iran

Par Juliette Alfano

Depuis le meurtre de Mahsa Amini par la police iranienne, le pays est plongé dans un sentiment de profonde amertume qui se traduit par une colère irrepressible. Le monde suit de près ou de loin la répression des manifestants qui suscite une indignation écoeurante. Après deux mois de révoltes, que nous disent ces mouvements sur les droits et les revendications féministes de l’Iran ?   

Le 16 septembre dernier, Mahsa Amini, étudiante iranienne de 22 ans, est décédée à Téhéran. Arrêtée par la “police des moeurs” le 13 septembre 2022 elle est brutalement battue lors de ses interrogatoires. La raison de son arrestation ? Une mèche de cheveux dépassait de son voile. Pour la “police de la moralité” il n’y a aucun doute : le port de vêtements inappropriés est une provocation irrécusable, une offense assumée aux autorités iraniennes. Fracture osseuse, hémorragie et œdème cérébral, c’est le prix à payer d’après les scanner. Les résultats de l'autopsie soulignent des blessures contradictoires avec les affirmations du gouvernement qui nie toute implication et responsabilité. Cet événement s’invite alors au centre du débat médiatique et des problématiques sociales qui remettent en question les droits fondamentaux des femmes. 

 

Un régime au croisement entre politique et religion

 

La République islamique d’Iran a été proclamée le 1er avril 1979. Il s’agit d’un régime autoritaire enraciné dans la cohabitation de deux légitimités : une légitimité théocratique, donc religieuse, et une légitimité politique populaire. Le régime repose sur la loi islamique, la charia, et sur un principe de tutelle politique connu sous le nom de velayat-e faqih. Traduction de “conservateurs de la jurisprudence”, ce terme de droit musulman renvoit à la position d’un juriste croyant qui exercerait un pouvoir politique. L'influence du religieux est ainsi omniprésente dans les décisions du gouvernement. La Constitution iranienne place l’ensemble des institutions politiques, judiciaires, militaires et médiatiques sous l’aveugle autorité du Guide suprême de la Révolution islamique : l’ayatollah Khamenei depuis 1989. 

 

Une dystopie patriarcale bien réelle

 

Admettons que vous êtes une femme. Vous avez des centres d'intérêt, un entourage, des envies, des désirs et, soyons fous, parfois même des rêves. Vous êtes une femme, vous aimez la mode, vous aimez soigner votre image, vous aimez vous découvrir sous de nouveaux angles, diversifier vos apparences. Admettons à présent que ce n’est plus pour vos yeux que vous le faites, ce n’est plus pour combler vos propres aspirations mais celles d’autrui, celles des hommes dont le regard pourrait, par mégarde évidente, tomber sur vous. Admettons que votre routine quotidienne consiste à s’assurer que vos formes soient bien cachées par des vêtements amples et longs, qu’aucune partie de votre corps ne soit nue ni visible, qu’aucune mèche ne dépasse de votre voile. Bien que ce récit semble appartenir au monde des dystopies et des sombres récits sortis tout droit de l’imagination d’un Orwell ou d’un Truffaut, il s’agit là d'une réalité bien existante. Depuis la loi de 1983, les jeunes filles âgées de plus de sept ans ont l’obligation de porter le hijab. 

 

Toute femme ne portant pas le voile correctement est automatiquement assimilée au principe de la désobeissance civile et pire, au manque de respect envers l’instance religieuse iranienne. Ainsi, une propagande endoctrinante est mise en place sur le territoire : séparation des genres dans le système d’éducation, impositions vestimentaires tant dans la sphère publique que privée, censure des manuels scolaires, prohibition de la représentation de la femme incompatible au modèle conforme. C’est dans ce contexte peu démocratique qu’émerge une nouvelle autorité policière : la police des mœurs. La police de la moralité a pour mission unique de vérifier le bon respect du port du voile et de la tenue vestimentaire de la gent féminine. Obligation et interdiction, voilà les maîtres mots de cette milice. Obligation de porter le hijab, d’avoir un manteau à la longueur convenable, de couvrir les épaules, les bras et le cou. Interdiction de porter des jeans moulants ou troués, de posséder des vêtements aux couleurs trop vives car trop voyantes, ou encore de sortir les chevilles apparentes. Nous sommes aujourd’hui dans une impasse : l'État iranien semble déterminé à ne rien céder aux manifestants. Mais d'où vient cet acharnement ? Quelle est cette importance irremplaçable attribuée au port du voile ? Il faut savoir que, dans un contexte de régime théocratique, le foulard est un dogme de la République islamique d’Iran. Il s’agit donc d’un pilier religieux, d’un marqueur idéologique et identitaire. Accessoirement, cette obligation est un moyen d’exercer un contrôle social sur sa population. La clergé chiite iranien détient le pouvoir depuis 1979, ainsi, un recul sur cette législation risque de faire vaciller la crédibilité et l'intégrité de ce gouvernement. Renoncer au voile, c’est renoncer à l’identité du bon musulman iranien: tache irréalisable pour l’Ayattollah. 

 

Une colère internationale qui gronde

 

Mahsa Amini n’avait que 22 ans et elle a dû subir la violence d’un système qu’elle n’a jamais choisi. Après tout, comment aurait-elle pu choisir un monde ou une mèche de cheveux dépassant du hijab se traduit par une mise à mort funeste et emprunte de lâcheté. Si sa voix a été transformée en silence par les forces de l’ordre, celles de millions de femmes autour du monde commencent à retentir. En Iran, une vague de révolution sans précédent engloutit les rues: les femmes se montrent sans foulard, certaines le brûlent, coupent une partie de leurs cheveux, les célébrités s’engagent publiquement, les groupes contestataires réalisent des graffitis visant le régime en place et font entendre leurs slogans. Les foules du monde entier défilent et témoignent leur soutien international aux manifestants qui sont confrontés à une répression gouvernementale insoutenable. "Je suis la mère de toutes les filles en Iran et je n'appartiens pas au pays des meurtriers", c’est ce qu’affirme l’actrice Fatemeh Motamed-Arya, les larmes aux yeux. La voix du jeune musicien Shervin Hajipour traverse le globe ces dernières semaines, avec sa chanson Baraye (“A cause de" en français) dont les paroles sont issues d’une trentaine de tweets contestataires publiés par les Iraniens. “Pour ma sœur, ta sœur, nos sœurs. Pour ce paradis obligatoire. Pour les élites emprisonnées. ​​Pour le soleil après de longues nuits. Pour les femmes, la vie, la liberté. Pour la liberté”. Ce texte empreint d’espoir et de vérité est interprété par de nombreux artistes, notamment par les Coldplay, une performance au retentissement mondial car diffusée en direct sur les écrans cinéma de 81 pays.   

 

Une vague de protestations qui s’amplifie

 

Les premiers slogans faisaient penser à un simple mouvement de soutien envers la victime des évidents abus de pouvoir de la police des mœurs. “Femme, vie, liberté !”: les manifestants marchent pour les droits fondamentaux de toutes les femmes, pour leur liberté d’expression, de choix, de vie. Cette effervescence s'accroît et laisse place à une véritable remise en question de l’entièreté du régime théocratique iranien. "Mort à la République islamique !" ; "Mort à Khamenei !" : c’est ce que scandent les manifestants depuis plusieurs semaines. Les opposants du gouvernement lancent une invitation urgente à l’engagement et la mobilisation générale. Ils parviennent à s’approprier certaines instances médiatiques locales en piratant le système : le 8 octobre dernier, l’ayatollah Ali Khamenei est représenté en direct, dans des flammes ardentes au journal de 21h.   

 

Si ce vent de changement souffle plus fort que jamais, le gouvernement iranien mène une politique de répression et cherche à taire les revendications de son peuple. Le régime fait preuve d’une déresponsabilisation tangible en stigmatisant les manifestanst et en menant une hyper narrativité médiatique qui assimile tout opposant politique à la criminalité voire au terrorisme. Les manifestations déclenchées par la mort de Mahsa Amini déplaisent à l'Ayatollah Khomeini qui déploie ses forces de sécurité pour réprimer et punir toute résistance, en appelant le pays à s'unir pour combattre le "complot" alimenté par les "ennemis de l'Iran". Le régime ne se limite pas à multiplier les coupures d’Internet. Arrestations brutales, violence physique épouvantable, gaz lacrymogènes, emprisonnements, exécutions et “balles perdues” sont à l’ordre du jour. Selon L’ONU, plus de 250 personnes ont perdu la vie dans ce contexte d'insécurité et de révolte. Le site Internet Human Rights Activists News Agency (HRANA) affirme qu'au 2 novembre, 298 personnes avaient été tuées et plus de 14 000 arrêtées lors de manifestations dans 129 villes. Parmi eux, Hadis Najafi, 20 ans ; Ismaïl Mauludi, 35 ans ; Nika Shahkarami, 16 ans. 

​

Il semble alors légitime de se demander ce que l’union européenne prévoit de mettre en place pour pallier cette injustice. "Nous travaillons intensément sur le prochain paquet de sanctions". "Nous soutenons les hommes et les femmes d'Iran, pas seulement aujourd'hui, mais aussi longtemps qu'il sera nécessaire" a annoncé Annalena Barebock, ministre fédérale des Affaires étrangères en Allemagne. L’UE a récemment érigé une liste des individus faisant l’objet de mesures restrictives et de sanctions en matière de violation des droits de l'homme. Interdiction de pénétrer sur le territoire de l’Union européenne, gel des avoirs, interdiction de toute exportation d'équipement susceptible de servir à des fins de répression interne. Telles sont les restrictions annoncées jusqu'à présent. 

 

Y aura-t-il un avant et un après Mahsa Amini?

 

Selon Alex Shams, écrivain et activiste iranien, les affirmations du gouvernement selon lesquelles les manifestations pourraient conduire à un séparatisme ethnique et à une guerre civile en Iran n'ont pas réussi à ébranler cette unité.

 

"La solidarité entre les Iraniens de différentes origines a été au cœur de l'élan des protestations et a fait tomber les barrières de la peur et de la suspicion. Alors que le gouvernement tente de prétendre que les manifestations sont opposées à la religion, les personnes d'origine religieuse et non religieuse se sont serrées les coudes et ont refusé d'être des ennemis", ajoute-t-il.

Les mouvements précédents n'ont pas abouti à des changements significatifs en Iran, mais M. Shams pense que cette fois-ci pourrait être différente.

"Ces dernières semaines ont radicalement changé le sentiment des gens sur ce qui est possible. Et cela constitue en soi une victoire", conclut M. Shams interrogé par la BBC.

bottom of page