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Fußball-Club Sankt Pauli : quand le conflit israélo-palestinien divise les supporters

Par Célien Milioni-Brunet

Pensionnaire de deuxième division allemande, le Fußball-Club Sankt Pauli (FCSP) s’est toujours démarqué par un engagement à gauche assumé. Club antifasciste, anti-raciste, anti-homophobe et anti-sexiste, le FCSP fait surtout parler de lui en dehors des terrains. Alors que le club a pris position en faveur d'Israël suite à l’attaque du Hamas sur l'État hébreu, des tensions naissent entre groupes de supporters étrangers et locaux. 

Fondé en 1910, le Fußball-Club Sankt Pauli est moins connu pour ses exploits sur la pelouse que pour son engagement politique. Situé dans le quartier du même nom à Hambourg, le club semble s’être inscrit comme précurseur d’une nouvelle culture des supporters en Allemagne. Dès les années 1980, alors que les tribunes sont plutôt comblées de fans d’extrême droite, ceux du FCSP luttent déjà contre le racisme. Bondé de punks et de squatteurs en tout genre, le public du stade hambourgeois attise la curiosité du monde entier. Des fans de toute l’Europe commencent à s’intéresser à cette culture si particulière, quand d’autres n’acceptent pas l’idée que le football se transforme en propagande politique. 

 

D’années en années, les actions contre toute forme de discrimination se multiplient au club comme en tribunes. Emmenés par un fort idéal progressiste, les supporters du FC Sankt Pauli ont tout mis en œuvre pour que leur club devienne un modèle d’intégration par le football. En 1970, Wilhelm-Koch-Stadion devient le nouveau nom du stade, en hommage au président historique du club. 18 ans plus tard, les supporters poussent pour qu’il soit renommé, Wilhelm Koch ayant adhéré au Parti national-socialiste des travailleurs allemands (NSDAP), le parti nazi. C’est le début du Millerntor-Stadion. Il est à ce jour le seul stade où flottent fièrement des drapeaux arc-en-ciel en soutien à la communauté LGBT+. Une conséquence de la politique du club depuis 2002 et l’arrivée à la présidence de Corny Littman, qui a fait de la lutte contre l’homophobie l’une de ses priorités. La même année, une campagne du magazine Maxim est retirée car jugée “dégradante envers les femmes”. Mais l’expression des valeurs de la gauche radicale allemande ne s’arrête pas là. Car si les drapeaux arc-en-ciel viennent colorer les gradins du Millerntor-Stadion, les fans du FC Sankt Pauli semblent tout aussi inventifs pour ce qu’il s’agit du code vestimentaire. Vêtus de t-shirts noirs imprimés d’un crâne blanc surmontant deux fémurs, symbole des outsider contre les riches, les groupes de supporters brandissent banderoles et drapeaux gravés des mêmes écussons. 

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À ce jour, le FCSP reste l’un des rares clubs à se battre contre le football business. Il s’appuie sur l’aide inégalable de ses supporters, locaux comme étrangers. En 2015 par exemple, l’implication des supporters dans les causes sociales et humanitaires donne naissance au FC Lampedusa, en référence à l’île italienne, qui constitue le premier point de transit de réfugiés en Europe. Alors que cette dernière est touchée par l’une des plus importantes vagues d’immigration de l’histoire, environ 1000 personnes arrivent à Hambourg chaque jour en été. Le club et ses supporters se mobilisent pour créer l’équipe du FC Lampedusa. Plus qu’une simple équipe de football, elle est aussi une béquille pour des réfugiés qui ont vécu un passé compliqué. Le FC Lampedusa est dorénavant rattaché au FC Sankt Pauli, qui offre le matériel, un soutien important aux personnes en difficulté - comme des cours de langue - et est financé par une campagne participative. 

Crédits : HBvL

La transmission de valeurs et le modèle participatif du club rendent le club de plus en plus populaire. De nombreux amateurs de football s’intéressent à un club auquel ils peuvent s’identifier. C’est le cas de Paul, membre du FC Sankt Pauli Francophonie depuis 3 ans, qui se reconnaît dans la vision du monde du club : “nous partageons les mêmes convictions et valeurs politiques de l’ultra gauche. C’est également le club le plus engagé du monde, le plus apte à défendre les valeurs qui nous tiennent à coeur.” En 2024, ce sont plus de 500 groupes de supporters à travers le monde qui supportent les “bruns blancs”. De New-York à Jakarta, en passant par Montréal, les joueurs du FCSP peuvent compter sur un soutien inconditionnel de leurs fans, qui donne au club une identité forte et rare. 

 

Le début d’une opposition fratricide 

 

Le 7 octobre dernier, après l’attaque sanglante du Hamas sur Israël, le Fußball-Club Sankt Pauli a publié un communiqué, dans lequel il condamne “les attaques contre des civils, la terreur et les meurtres qui ne peuvent être justifiés d’aucune manière et ne font que conduire à une nouvelle escalade”. Adressant ses condoléances "à nos amis de l’Hapoel Tel Aviv et à l’espoir d’un avenir pacifique pour tous les peuples du Moyen-Orient", la déclaration du club sur un sujet aussi clivant n’a pas ravi tous ses admirateurs. L’absence d’un message de soutien aux victimes gazaouies suite aux bombardements israéliens a semé la discorde chez les fans, pour qui le conflit israélo-palestinien est des plus importants. Les supporters locaux ont tendance à se ranger du côté de leur club, quand ceux de pays étrangers ont du mal à accepter l’idée que le club n’évoque même pas les victimes palestiniennes. 

 

Pour le club comme pour les fans locaux, le soutien à Israël est inconditionnel mais aussi culturel. Il s’inscrit dans le mouvement antideutsh, apparu dans les années 1990 suite à la réunification de l’Allemagne. “Anti-allemands", la gauche radicale perçoit l’Allemagne réunifiée comme une nouvelle structure de domination. Le mouvement antideutsh est largement sioniste, la gauche radicale allemande assimilant régulièrement la défense anticoloniale de la résistance palestinienne à de l’antisémitisme. Une tendance qui se fait ressentir dans les enceintes sportives outre-Rhin, où des messages pro-israéliens ont été aperçus en tribunes du côté du Werder Brême ou encore du Bayern. Les supporters du FC Sankt Pauli y sont aussi allés de leur banderole, sur laquelle figure l’étoile de David : “démasquer le populisme de droite - contre tout antisémitisme”. Également club ami de l’Hapoel Tel Aviv, dont l’équipe de basketball, en déplacement à Hambourg, a été invitée au stade du FCSP, a elle aussi reçu son message de soutien : “l’Hapoel est la famille - Toujours avec toi”

 

Aucune mention pour le peuple palestinien au Millerntor-Stadion Un traitement que trouvent injustes les groupes de supporters étrangers. Comme l’explique Paul, ces groupes ne souhaitent pas que le club soutienne exclusivement la Palestine, mais demandent au FC Sankt Pauli de faire la part des choses : “nous sommes tous touchés par ce conflit, regrettons et condamnons fermement les actions du gouvernement israëlien envers le peuple palestinien. Cependant, il est aussi difficile de venir en soutien au Hamas, groupe terroriste qui ne défend en aucun cas les valeurs qui nous tiennent à cœur”. Les fan clubs étrangers reprochent le silence du club vis-à-vis des victimes gazaouies, pour qui aucun message n’a été adressé. Dans une déclaration pacifiste co-signée par treize groupes de supporters, ces derniers disent “comprendre l’attitude sensible et et prudente de la gauche à l’égard d’Israël”. Pour ceux qui “ne partagent rien ni avec Nethanyaou, ni avec le Hamas”, il est pourtant indispensable de “trouver une solution durable qui garantisse la liberté et la coexistence pacifique d’Israël et de la Palestine”. En attendant, le verdict est clair : “nous sommes aux côtés du peuple palestinien”

 

Vers la fin de “l’âme de Sankt Pauli”

 

Le 12 octobre, sur le site Fanclubsprecherrat - site qui réunit tous les fans du club - les groupes de supporters pro-Palestine subissent une nouvelle mise en garde : “nous tenons à préciser que minimiser et légitimer les attaques terroristes du Hamas n’est pas une opinion et est totalement inacceptable. Certains clubs de supporters et leurs déclarations sont déjà très controversés ou ont dépassé les bornes”

 

Après ces récentes déclarations, plusieurs fan-clubs étrangers ont annoncé leur dissolution. Parmi eux, des groupes de Liverpool, Chania ou encore Glasgow. Les Green Brigade, groupe de supporters engagé écossais, connus pour leur soutien à la Palestine entre autres, a aussi fait passer un message au club de la banlieue d’Hambourg. Jusqu’ici en très bonne entente avec ceux du FCSP, les supporters du Celtic ont déployé une banderole très explicite : “Fuck St. Pauli. Free Hamburg from Hipsters”

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Crédits : Green Brigade via X 

Cette banderole fait référence à celles de Sankt Pauli déployées elles aussi à Glasgow, où les fans demandent à ce que la Palestine soit libérée du Hamas. Après 16 ans d’existence, le Skum d’Athènes s’auto-dissout également. En novembre, le groupe de fans de Bilbao a annoncé via un communiqué l’arrêt immédiat de ses activités en lien avec Sankt Pauli : “S’il ne peut y avoir qu’un camp et une seule version des événements, ignorant le meurtre indiscriminé de civils, l’apartheid, l’occupation et la colonisation des territoires palestiniens, nous sommes arrivés à la conclusion que nous ne sommes définitivement pas à notre place“

 

Les voix critiques pro-palestiniennes questionnent le rôle d’Israël dans le conflit. Selon eux, l’attaque du Hamas ne relève en rien du hasard, quand les supporters locaux crient à l’antisémitisme et souhaitent le retrait des forces du Hamas à Gaza, dans le but de protéger la population juive. Une déception qui s’avère réciproque pour les deux parties : “Nous regrettons tous la disparition de grands fan clubs”, explique Paul.  Alors que nombreuses interrogations se posent quant à la fin d’une entente internationale entre les groupes de supporters, rien ne peut être prévu quant au futur de ces organisations et du club qu’elles supportent : le Fußball-Club Sankt Pauli. Même si les inquiétudes sont partagées, Paul n’a aucun doute envers la suite de l’histoire : “le club est et restera une institution d’extrême gauche au travers de son militantisme et des actions qu’il défend depuis des décennies. Personne ne fera perdre au club et à ses supporters leur engagement et leur militantisme”. Une opinion loin d’être évidente lorsque l’on voit l’ampleur de l’affaire à ce jour. Alors il est sans doute trop tôt pour parler d'une fin de cycle, mais quand la rupture est si profonde, il semble difficile de la réparer, du moins sans cassures. 

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