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Photo : Emilia Spada

Reportage : l’extrême-droite à la (re)conquête des jeunes

Par Emilia Spada

Ce dimanche 10 mars 2024 au Palais des sports, situé porte de Versaille à Paris, avait lieu le lancement de la campagne du parti Reconquête ! pour les élections européennes. Sous les banderoles « Défendre notre civilisation » ou « Vive la France », on retrouvait les habituelles têtes blanches du parti, mais aussi des visages aux airs encore juvéniles, posant la question d’un électorat toujours plus jeune.

Le Palais des sports attend 5000 personnes, « des vraies », comme le souligné le jeune agent d’accueil qui nous guide vers le carré presse, en référence à la rumeur selon laquelle les meetings d’Eric Zemmour ne feraient pas salle comble. Le parterre de drapeaux français entonne la Marseillaise, puis se rallie au chant lancé par deux jeunes filles blondes au premier rang : « Marion députée, Zemmour à l’Élysée ». Le ton est donné. 5000 « vraies » personnes donc, pour une moitié de jeunes.

 

On croirait assister à un match de foot, tant l’ambiance est électrique. Vissées jusqu’aux oreilles des plus fervents partisans, les casquettes « Reconquête 2024 » à la police rouge ne sont pas sans rappeler les « MAGA Hat » des trumpistes états-uniens. Il y a quelque chose dans l’air, un grondement caractérisé par un vivier de nouveaux militants au sang neuf. Eric Zemmour prend place au pupitre : liesse dans l’auditoire. La salle crie son amour au président de Reconquête !. Lui l’a bien compris : pour séduire, il faut rajeunir. À mesure d’un discours d’introduction à la xénophobie assumée, il multiplie les éléments de langage : « Vous êtes chauds aujourd’hui ! », ou encore « J’espère que vous allez kiffer ». Et adresse une dédicace au ton paternel à ses jeunes militants, à « leurs grands cœurs, et leurs fortes têtes ».

 

Le président de Génération Zemmour fait son entrée sur l’estrade. À 24 ans, Stanislas Rigaut, a tout du jeune cadre dynamique. Il enjoint au public de se lever pour « un hommage aux victimes de l’immigration de masse, et du francocide ». La foule obéit, l’air grave. S’ensuit un discours autour de l’affaire Thomas Perotto, tué lors d’une rixe entre bandes rivales à Crépol, lors d’un bal de village. Le fait divers, traité par les éditorialistes de CNews et le Journal du Dimanche, comme crime à caractère racial, avait vu l’émergence de rassemblements violents de groupuscules d’extrême-droite. La nécessité « de rester combatifs » donc, pour Rigaut. Guillaume Peltier, vice-président du parti, lui succède.  Il salue un électorat qui a compris que la « priorité n’est pas le pouvoir d’achat ou le réchauffement climatique, mais le grand remplacement ». Car pour les sympathisants Reconquête ! c’est là que le bât blesse, à en croire les sifflements qui fusent à travers le Palais des sports. Une rangée de jeunes adultes applaudit à tout rompre. Un curieux ordre de priorité, si l’on se rappelle la mobilisation massive qu’avait suscité le mouvement Youth for climate. Lancé par la jeune militante Greta Thunberg en 2018, l’initiative enjoignait aux élèves d’aller manifester pour la sauvegarde de la planète en séchant leurs cours du vendredi après-midi. La militante suédoise de vingt et un an sera elle aussi raillée, rabaissée à la formule consacrée, les « wokes », ces « punks à chien qui considèrent l’Occident comme le mal absolu », d’après les mots d’Eric Zemmour.

 

La « Vieille France » des jeunes

 

Les figures du parti se suivent, et se ressemblent. Pour sauver « Notre Europe », tous convoquent les grand intellectuels et artistes du vieux continent. De Racine à Aristote, les énumérations sont longues, mais n’ont qu’un but : en appeler la potentielle supériorité des électeurs, enorgueillis de comprendre les références distillées. Mépriser la culture populaire est devenu le signe de ralliement d’une élite qui se veut « française », attachée aux racines de l’hexagone, et un marqueur de distinction pour les jeunes partisans. Le discours veut s’adresser à toutes les catégories d’âge, Eric Zemmour dressant un parallèle entre le génie de Mozart et une France qui devrait refuser d’écouter Aya Nakamura, la chanteuse étant la cible de nombreuses attaques racistes sur les réseaux sociaux, en raison de sa potentielle participation à la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques et Paralympiques 2024.

 

Dans les coulisses de l’évènement, les membres du staff de Reconquête ! ont tous aux alentours de la vingtaine. Il est difficile de les approcher, tant les rebute notre accréditation de carton jaune à la mention « presse ».

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Marie* a tout juste vingt ans, et est chargée du vestiaire pour la journée. Elle déclare fièrement s’être engagée auprès de Reconquête ! au moment de l’élection présidentielle de 2022, affirmant y avoir cru « dur comme fer ». Face aux faibles scores obtenus par le parti, elle avance un scénario similaire à la remontée à la hausse des scores du Rassemblement national, avoisinant aujourd’hui les 30% d’intention de vote pour les européennes, contre 23,4 % en 2019. Sans le nommer, l’étudiante ingénieure vient d’établir son parti à l’extrême-droite, au même titre que celui de Marine Le Pen. Pourtant, tout dans son discours veut laisser penser qu’elle soutient « un parti comme un autre », ne comprenant pas pourquoi certains de ses camarades se sont éloignés d’elle. Lorsque l’on interroge Marie sur la dissidence de ses engagements politiques avec les préoccupations habituelles de la jeunesse, elle répond que sa priorité à elle, « c’est la France » et que Reconquête ! connaît « une diversité des profils chez les jeunes militants ». Son camarade de vestiaire, vingt-cinq ans et l’air goguenard, lui enjoint d’arrêter de répondre, visiblement agacé par nos questions. L’échange est interrompu par une femme d’une cinquantaine d’années, qui enguirlande les deux jeunes gens pour avoir laissé un bout d’autocollant sur l’étiquette de sa gourde. Marie rougit. Elle prend les devants et commente « ça, ça serait arrivé dans n’importe quel meeting, qu’il soit de gauche ou de droite ».

 

Dédiabolisation et désinformation

 

Dehors, les stands de « goodies » floqués Reconquête ! ou à l’effigie de Marion Maréchal sont eux aussi tenus par une jeunesse qui se rassemble et échange sur sa participation aux évènements via les réseaux sociaux. Juliette* distribue des tracts, et tire frénétiquement sur sa cigarette électronique. Parmi les six personnes présentes sous l’étroite tente, elle seule a accepté d’expliquer les raisons de son engagement. À toute berzingue, elle liste l’insécurité, la propagande LGBT, la GPA (Gestation pour autrui). Derrière elle, ses camarades osent quelques applaudissements sur le ton de l’humour. Interrogée sur ce qu’elle sait de ces thématiques, Juliette dit ne pas être « réellement dérangée par le mariage homosexuel, mais ne pas comprendre l’intérêt d’en parler aux enfants ». En école d’infirmière, elle s’agite pour marquer son refus « que son utérus soit commercialisé pour les besoins d’autres couples ». Après une courte séance de fact-checking, la jeune adulte de vingt ans s’irrite un peu et révèle qu’elle s’informe majoritairement sur X, anciennement Twitter. « Dans tous les cas, l’extrême-droite c’est plus comme avant, maintenant c’est un parti comme un autre ». Sur ses possibilités de dialogue avec des jeunes issus de l’immigration, elle met en garde « nous ne sommes pas contre les musulmans ou les immigrés. Il faut juste couper le flux, pour que ceux qui sont là s’intègrent ».

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Se positionnant contre le droit à l’IVG (Interruption Volontaire de Grossesse), elle veut croire que Reconquête ! est féministe. « Vous pensez que Marion Maréchal serait tête de liste du parti s’il était sexiste ? ». On lui rappelle les huit accusations de viol dont le président Eric Zemmour fait l’objet, qu’elle balaie en invoquant la présomption d’innocence. « À Reconquête !, la femme est sacralisée et protégée. C’est tout ce qu’il y a dire. »

 

Chez ces jeunes militants, l’héritage familial s’impose comme la racine de l’engagement en politique. À rebours d’une marche en avant vers les obligations climatiques et la prépondérance de la question des violences sexistes et sexuelles, ils brandissent le drapeau français comme bannière pour un retour en arrière. Tous évoquent des amitiés parties à la dérive en même temps que l’affirmation de leurs convictions politiques.

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En permanence connectés sur les réseaux sociaux, là aussi « ils coupent le flux », pour se retrouver entre partisans des mêmes idées. Pour vivre avec son temps, encore faudrait-il mettre le nez dehors.

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