Crédits : Stringer - AFP
Vladimir Poutine, l'innarêtable
Par Sarah Coudert
Le 24 février dernier, Vladimir Poutine annonce une opération militaire en Ukraine pour défendre les séparatistes de l’est du pays, malgré le tollé international et les sanctions infligées par l’Occident. Les tensions glaciales entre l’Ukraine et la Russie prennent des allures de guerre froide. Depuis deux semaines l’Europe entière est pendue aux lèvres du dirigeant autoritaire que rien ne semble pouvoir arrêter.
Le 24 février dernier, Vladimir Poutine annonce une opération militaire en Ukraine pour défendre les séparatistes de l’est du pays, malgré le tollé international et les sanctions infligées par l’Occident. Les tensions glaciales entre l’Ukraine et la Russie prennent des allures de guerre froide. Depuis deux semaines l’Europe entière est pendue aux lèvres du dirigeant autoritaire que rien ne semble pouvoir arrêter.
Taya, jeune femme russe de 17 ans se souvient et peut citer des passages du discours de son président, déclarant la guerre à ses voisins ukrainiens. Dans son bureau, entouré de ses drapeaux, la chemise boutonnée jusqu’en haut, la veste de costume bien taillée, rien ne semble désordonné. Il est froid, droit, le regard franc et impassible face à la caméra. Il agite ses bras lentement au gré de son discours, montre en main. « Quiconque essaie de nous entraver, et plus encore, de créer des menaces pour notre pays, pour notre peuple, doit savoir que la réponse de la Russie sera immédiate ». Depuis ce jour-là, le leader impavide a figé les horloges de l’Europe. Entre le récit de l’intérieur de Taya, incarnation de la jeunesse Russe politisée, et une vue d’ensemble sur sa politique extérieure, il s’agit de comprendre les logiques d’un tyran. Qui peut stopper Poutine ?
Rien ne peut l’arrêter ?
Nos écrans de téléphone et de télévision sont inondés d’images de foules bleu et jaunes, manifestants pour les droits du peuple ukrainien. Des milliers étaient réunis à New York ou à Paris cette semaine. Le désarroi et la confusion poussent les citoyens dans les rues, à brandir des drapeaux et agiter des banderoles pour faire entendre la voix de ceux à qui on l’a coupé.
C’est le cas d’une partie du peuple russe, plongé dans ce conflit, du côté de l’envahisseur. Ils ont décidé de braver l’interdit, qu’importent les conséquences. Les forces de l’ordre quadrillent et embarquent un à un tous ceux qui ont manifesté par leur simple présence leur opposition à l’opération russe en Ukraine. Il demeure difficile de dire combien de Russes ont pris le risque de manifester, mais peu. Près de 5 000 personnes ont été emprisonné en Russie depuis deux semaines pour avoir protesté contre la décision de Vladimir Poutine. D’autres préfèrent partir pour éviter les représailles.
Taya, étudiante russe en sciences politiques, affirme que la vision occidentale promulguée dans les médias est bien différente de la vision russe à travers le prisme de la propagande.
Une source officielle Russe, VTsIOM, annonce que 70% de la population russe soutient le président. « Les médias publics font preuve du plus haut degré de confiance envers Poutine. Il faut garder à l’esprit que tout l’agenda officiel est absolument pro-puissant dans notre État autoritaire. Cela signifie que les données ne sont pas fiables. Elles sont probablement falsifiées ». La chercheuse au Centre européen pour les relations internationales, Kadri Liik, confie à Arte que les manifestations sont minimes à l’échelle du pays. Les répressions sont trop violentes et dissuadent la population anti-Poutine. Car « la propagande pro-Poutine fonctionne très bien. L’Ukraine est « l’ennemi » et Poutine le leader fort et charismatique qui protègera son peuple ». Coincé entre la peur des répressions violentes et la propagande persuasive, il semble difficilement imaginable pour l’opinion publique d’entraver Poutine.
Alors que le président russe gouverne d’une main de fer, l’opposition politique russe a peu de marge de manœuvre. Elle est déstructurée depuis le démantèlement du leader de l’opposition Alexeï Navalny. Sarah Pagung, experte de la Russie au Conseil allemand des relations internationales, affirme dans un reportage France Info, que malgré l’existence de l’opposition, elle est « factice et de façade. Elle est en réalité loyale au régime et participe à cette mascarade démocratique ». Mis à part un diplomate à l’ONU, des sportives et des sportifs, les soulèvements restent clairsemés et inoffensifs pour le pouvoir en place.
Les 27 pays de l’Union européenne ont imposé trois séries de sanctions à Moscou, notamment le gel des actifs de la banque centrale russe et la déconnexion de sept banques russes du système de messagerie financière Swift. « Les sanctions économiques ne stopperont pas Poutine, il est déterminé et maintenant sur sa lancée je ne le vois pas s’arrêter pour négocier un accord de paix en demi-teinte » ajoute Kadri Liik. C’est au sein même de la Russie que tout va se jouer, les sanctions seules suffisent rarement, elles ne seront efficaces que si la politique interne russe change avec un renouvellement des élites et une meilleure séparation du pouvoir exécutif. Ces espoirs sont utopiques selon Taya qui évoque un président qui « semble vivre dans son propre monde en dehors des réalités de son pays ».
Un espion du KGB infiltré au Kremlin
Alex Goldfarb, dans Death of Dissident qualifie Vladimir Poutine de “terreur de cour de récréation”. Issu d’un milieu modeste, il est le troisième enfant et le seul survivant suite au décès de ses deux frères ainés. Il a grandi dans une famille ouvrière d’origine ukrainienne. Il faisait partie d’une bande. Il était petit mais n’avait pas peur de se battre. Selon l’auteur « il a échappé à la criminalité en se défoulant dans le sport ». C’est un adolescent turbulent qui se passionne pour les arts martiaux. Le jeune Vladimir Poutine rêvait de devenir un espion. Il voulait être la version soviétique de James Bond. Ce rêve, il le réalisera en intégrant le KGB, l’une des organisations les plus répressives de l’histoire de l’humanité. Ensuite il prendra la tête du FSB, service de renseignements russes, en 1998. La corruption était courante et a été exacerbée à son arrivée.
« Moins on en sait, mieux on dort », stipule un dicton russe. « En Russie on peut être condamné pour en savoir trop » ajoute Alex Goldfarb. Depuis les années 2000 et son arrivée au poste de président, le taux de mortalité parmi les opposants est étrangement élevé : journalistes, activistes des droits de l’homme, des figures de l’opposition politique.
Vladimir Kara-Murza, journaliste et opposant politique affirme au Figaro que « nous sommes tous des produits de notre expérience, de notre milieu, de notre éducation. Le milieu dans lequel s’est formé Vladimir Poutine est la corruption ».
Selon Serguei Jirnoc, un ancien espion du KGB, réfugié politique en France, qui a brièvement connu Poutine, le président Russe est un paranoïaque. Il a une nostalgie de l’époque de l’URSS et fait raisonner son leitmotiv : rendre sa grandeur à la Russie.
Dans le journal The Times, l’ancien ministre des affaires étrangères Britannique et le neurologue David Owen scrutent la personnalité de Poutine à l’aide du psychanalyste Jan Robertson. Selon les trois chercheurs l’ancien du KGB serait victime d’une distorsion de la personnalité due à son pouvoir extrême. Il souhaite une expansion et une puissance illimitée en confondant intérêts personnels et collectifs, déployant une tendance au grandiose, à l’exaltation de soi, une altération du jugement et une diminution de la conscience du danger. Il représente l’enfant humilié, moyen, qui se venge en inversant les rapports de forces.
« Nous sommes l’ennemi de tous les peuples. Il est impossible de nier l’existence de la russophobie dans le monde. En tant que citoyenne je la trouve parfois infondée et hypocrite et je la ressens dans mon quotidien. De manière générale Poutine en a eu marre et a décidé de ne plus se retenir du tout » assure Taya.
Dans le miroir de Vladimir Poutine
« Un compromis entre l’Ukraine et la Russie est impossible, si aucun pays de l’Europe ne parvient à se placer comme modérateur crédible aux yeux de Poutine, et que l’Ukraine ne se rend pas, j’ai peur que nous entrions dans une troisième guerre mondiale » sont les mots de l’étudiante russe, terrifiée à l’idée de voir son dictateur se mettre l’Occident à dos.
Sabine Callegari, psychanalyste, sur le plateau de LCI, affirme que le président est déterminé à ne rien lâcher. « Dans l’esprit de Poutine, il y a un filtre où il passe toute la réalité à l’aune d’un délire de persécution et d’un délire d’interprétation. Il se sent menacé dans son projet expansionniste ».
À l’instar de Sabine Callegari, depuis le déclenchement du conflit à l’Est de l’Europe, de nombreux chercheurs se sont focalisés sur la santé mentale de Vladimir Poutine. Mais de quoi parlent les chercheurs lorsqu’ils évoquent le syndrome d’Hubris qui toucherait le président ?
Cette « intoxication au pouvoir » se traduit par un narcissisme sans limite, une arrogance sans mesure faisant faire des choses complètement hors du réel. Jacques Touchon, neurologue à Montpellier décrit, dans Ouest-France, le président comme « l’exemple parfait du syndrome d’Hubris ». « Vladimir Poutine, il faut simplement l'arrêter de toute urgence. On voit clairement que si l'on ne freine pas une personne qui est atteinte par le syndrome d'hubris, comme c'est le cas de Vladimir Poutine, cela entraîne des catastrophes ». « Staline et Lénine en été atteint, tout comme Vladimir Poutine, Kim Jong-un pour la Corée du Nord et Xi Jinping, le président chinois ».
Pascal Plas, de l’Institut international de recherches sur la conflictualité à l’Université de Limoges évoque dans un article de France Bleu, une « guerre froide qui n’a jamais été vraiment terminé ». Il ajoute que « les ressentiments s’accumulent et ressortent des années après ». À la question, pourquoi aujourd’hui ? Le chercheur répond qu’un « certain nombre de conditions sont remplies ». En effet, l’Allemagne a un nouveau chancelier, Olaf Schloz, la France est plongée en période électorale, les États-Unis sont faibles et le prix du gaz est en plein essor. Toutes ces circonstances contribuent forcément à former une meilleure conjoncture pour Poutine. Le président russe apparaît comme le maître d’un jeu dont il est le seul instigateur. Selon Pascal Plas, l’ambition du dictateur est de « reconstituer l’URSS, première marche vers une reconstitution de l’Empire ».
Le projet ultime du leader russe demeure inconnu du grand public. Certains imaginent une troisième guerre mondiale nucléaire, d’autres un apaisement amené par de nouveaux accords ou encore une expansion du territoire russe nostalgique d’une URSS surpuissante. Une chose est certaine nous confie Taya, « Poutine ne s’arrêtera pas… si toutes ses conditions ne sont pas remplies, jamais… ».