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Le sport français doit-il être apolitique ?

Par Célien Milioni-Brunet

En 2023, rares sont les sportifs français qualifiés de “politisés”. Pourtant, le sport n’a jamais été aussi politique qu’il l’est de nos jours. Alors que les enjeux sociaux s’immiscent de plus en plus dans la vie sportive, quel rôle les premiers concernés ont-ils à jouer ? 

Le sport pourrait être définit comme le miroir de la société. Pourtant, un aspect manque quelque peu à cette métaphore : l’expression politique des sportifs. Pour quelles raisons ?

Lorsque l’on se penche dans l’histoire, seule une poignée d’athlètes de haut niveau se sont battus pour leurs idées, leurs causes. Néanmoins, cette minorité a su faire avancer le sport et le faire évoluer afin de le rendre plus accessible. En 1938, Gino Bartali, cycliste italien, refuse de faire le salut fasciste de Mussolini, et prône la liberté. En 1967, Kathrine Switzer participe au marathon de Boston qui, à l’époque, était réservé aux hommes, et change à jamais l’histoire du sport féminin. Un an plus tard, aux Jeux-Olympiques de Mexico, Tommie Smith et John Carlos lèvent le poing pour la première fois, symbole de la lutte contre l’oppression des populations noires aux Etats-Unis. De par un geste ou une déclaration, ces athlètes nous ont prouvé qu’il était possible de changer les choses. Pourtant, en France, ce sujet est bien plus complexe. 

Tommie Smith et John Carlos, poings levés sur le podium des Jeux Olympiques 1968 de Mexico (Anonymous/AP).

Est-il plus difficile de s’exprimer en France ? 

 

On a beau remonter dans le temps, la France n’a jamais connu de symbole politique aussi marquant que ceux de Mohammed Ali ou de Megan Rapinoe pour ne citer qu’eux. En général, la société française refuse la politisation du sport, rendant difficile l’expression politique dans ce domaine. Récemment, pour la Coupe du Monde au Qatar ou pour les Jeux Olympiques de Beijing, alors que la question des droits humains et des conditions environnementales faisaient débat, la plupart des Français pronaient l’idée que le sport ne devrait pas interférer en politique. Le président de la République disait d’ailleurs lui-même en novembre 2022 qu’il “ne fallait pas politiser le sport”. Par tradition ? Conviction ? Cette déclaration semble tout de même ironique quand on sait qu’Emmanuel Macron n’a pas hésité une seconde à venir "réconforter” les joueurs de l’Equipe de France un soir de décembre 2022... 

Le sport a toujours été médiatisé, qui plus est aujourd’hui. Il est un domaine universel, fédérateur. Peu importe la nationalité, l’âge, l’orientation sexuelle ou encore le genre, une grande partie de la population est passionnée. Alors, chaque fois qu’un sportif français se prononce sur un sujet politique, cela ne passe pas inaperçu. Bien qu’ils soient victimes de leur propre succès, les athlètes de haut niveau peuvent avoir un rôle à jouer et sont en mesure de faire bouger les choses. Du fait de l’influence des médias, une simple interview peut avoir des conséquences extraordinaires. A cela s’ajoute que les sportifs de renoms sont des médias à part entière, capables d’orienter la vision de leurs fans. Récemment, le magazine Times à ainsi ajouté Kylian Mbappé à son classement des 100 personnalités les plus influentes au monde en 2023. 

Ce pouvoir d’influence s'est illustré il y a peu. Ces derniers mois, Nöel Le Graet, accusé d’harcèlement moral et sexuel, ne semblait pas en danger vis-à-vis de son poste de président de la Fédération Française de Football. Il aura suffit d’une erreur de communication concernant Zinédine Zidane, et surtout d’un tweet de Kylian Mbappé pour que celui qui était déjà visé par de nombreuses accusations soit licencié. Car aujourd’hui, s’il semble interdit de critiquer une légende du football français, il est possible de garder son poste alors même que l'on est visé par une enquête. Une justice à deux poids deux mesures ?

Depuis des années, les Français semblent réticents à l’idée qu’un sportif puisse exprimer une opinion politique. Non pris au sérieux par la majorité de l’Hexagone, les athlètes sont malgré eux exclus de cette société, de part un ensemble de valeurs et de lignes de conduite qui les force à l’auto-censure. Alors que l’image des sportifs que se font les Français pourrait se résumer à des “personnes qui ont plus de capacités physiques qu’intellectuelles”, il est tout de suite plus difficile de se sentir légitime d’aborder des sujets aussi complexes. Bien sûr, tous ne sont pas concernés par cette appréhension et certains sont simplement désintéressés de tout sujet politique, mais la situation n’aide pas. 

Car si nous avons souligné l’importance des médias, celle-ci s’avère être à double tranchant. Lorsqu’un char à voile fait polémique pendant plusieurs semaines, on comprend que certains soient anxieux à l’idée de répondre aux questions des journalistes. Dans le cas des sportifs de haut niveau, une image leur est attribuée et ces derniers sont analysés en permanence sur leur moindre sortie médiatique. En France, une simple déclaration maladroite peut ternir la réputation d’un athlète, qu’il avait pourtant bâti sur une décennie. L’erreur est humaine, mais que ce soit sur le terrain ou en dehors, celles des sportifs sont toujours plus coûteuses.  

Si les sportifs se trouvent régulièrement au devant de la scène, un travail de communication est réalisé en coulisses. Ce n’est pas pour rien que certaines déclarations (notamment dans le football, sport le plus suivi) se ressemblent comme deux gouttes d’eau. Alors oui, cette peur d’être pointé du doigt pour un mot, une tournure de phrase, un geste, justifie également le recul des athlètes sur une société qui, quoi qu’ils peuvent dire ou faire, aura toujours quelque chose à critiquer. 

 

Bientôt la fin du désaveu ?

 

Cependant, depuis l’arrivée des réseaux sociaux, la tendance semble quelque peu s’inverser et il n’est pas à exclure que l’on soit à l’aube d’une révolution. De plus en plus de têtes d’affiche françaises osent s’exprimer sur des sujets qui leur tiennent à cœur. Charles Leclerc, Gaël Monfils ou encore Lénaïg Corson, l’engagement des athlètes de haut niveau grimpe en flèche et sûrement pour le mieux. Car si les sportifs restent des humains, ils sont pour de nombreux jeunes des idoles, des figures à qui se rattacher, des modèles auxquels ils veulent ressembler. Leurs actes ne seront pas vains, c’est en grandissant que l’on se construit, et c’est en maturant que l’on s’engage. Et si, pour le moment, certaines causes semblent souvent être sous le feu des projecteurs, comme le racisme, cause pour laquelle de nombreux sportifs militent, d’autres peinent à avancer, comme l’homophobie, aspect tabou dans le monde du sport. 

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