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Crédits : Claire Fieux

Reportage : Ramdam sur le macadam contre l'A69

Par Claire Fieux

Ce week-end, samedi 21 et dimanche 22 octobre s’est tenue la manifestation « Ramdam sur le Macadam » contre le projet d’autoroute A69. Cette mobilisation vise à combattre un projet « absurde et écocide » selon les participants alors que l’État français est toujours aussi inactif en matière de lutte contre le dérèglement climatique et la destruction du vivant.

La route de Toulouse, axe principal de la petite ville de Saïx, est déserte. Les passants contournent cette zone bloquée par la police depuis 5 heures du matin. Un hélicoptère vole dans le ciel depuis jeudi, le tout dans une ambiance de fin du monde alors qu’au loin, on peut entendre les tambours de la manifestation qui s’élance. 

 

Arrivant sur le pont de Saïx depuis un sentier longeant l’Agout, la rivière qui passe dans la ville, Mr. Rameau*, armé de ses deux bâtons de marche, est effaré. Il cherche à rejoindre le début de la manifestation « Ramdam sur le Macadam », qui s’est élancée de l’autre côté de la ville, sur la route de Sémalens depuis le camp où sont réunis les manifestants. Une douzaine de camions de gendarmes sont postés sur le pont. Les boucliers sont dégainés et les casques baissés. Mr Rameau, colère, décide de s’approcher d’eux. « C’est quoi tout ça ? Vous ne trouvez pas que c’est un peu trop ? ». Un gendarme s’approche de lui. « Bonjour Monsieur Rameau ! Comment vous allez ? ». Quelques échanges. « Ils me connaissent bien, j’étais leur instit’ quand ils étaient encore petits », dit-il avec un sourire. Ce qui ne les empêche pas de le reconduire hors de la zone. Le voilà marchant au milieu de cette double voie déserte, avec des policiers en position défensive d’un côté, et une horde de manifestants à vélo arrêtés de l’autre, qui les défient du regard. Il est 13 h 30, la manifestation va commencer, la tension est palpable.

 

Un projet controversé 

 

L’A69, est un projet de transformation de l’actuelle route nationale 126 en autoroute de 53 kilomètres, reliant Toulouse à Castres, et qui devrait raccourcir le trajet d’une vingtaine de minutes. Ces dernières semaines, la médiatisation de la grève de la faim menée par Thomas Brail et douze autres opposants à donné une ampleur nationale à cette mobilisation qui s’élève contre l'inaction gouvernementale en matière de politiques climatiques. Après une courte suspension en fin de semaine, le chantier a repris ce lundi 16 octobre. Le ministre chargé des transports avait confirmé la détermination du gouvernement « à faire aboutir ce projet, qui a été décidé démocratiquement et confirmé systématiquement par le juge ». Les manifestants répondent, en se basant sur un sondage IFOP réalisé il y a quelques jours auprès de la population du Tarn et de la Haute-Garonne, que 61 % des sondés étaient favorables à l’abandon du projet d’autoroute et qu’ils étaient 82 % à se prononcer pour un référendum local.

 

Le projet, vieux de trente ans et formellement enclenché en mars 2023 avec les autorisations environnementales délivrées par les préfectures concernées, divise profondément le département du Tarn. L’association des maires du Tarn (ADM81), qui rassemble 314 communes, a choisi de prendre position en faveur de l’A69. Les partisans du projet mettent en avant ses bénéfices pour l’économie locale. Selon eux, cette liaison, qui doit réduire d’une vingtaine de minutes le trajet entre Toulouse et Castres, permettra de redonner de l’attractivité au sud du Tarn. Plus de 2000 scientifiques, 750 personnalités et plus de 85 000 citoyens ont signé des tribunes contre le projet de l’A69, auxquelles le gouvernement reste sourd. Ils dénoncent avec preuve à l’appui, la destruction d’écosystèmes, d’arbres centenaires et de milliers d’autres menacés, la disparition de 366 hectares de terrains agricoles. Pour ces derniers, le projet est le symbole d’un gouvernement qui recule sur ses objectifs climatiques. Pour rappel, ce dossier s’inscrit « en contradiction avec les engagements nationaux en matière de lutte contre le changement climatique, d’objectif du zéro artificialisation nette et du zéro perte nette de biodiversité », avait aussi conclu le Conseil national de la protection de la nature, en rendant un avis défavorable en septembre 2022.

 

La mobilisation a réuni plus de 10 000 personnes selon les organisateurs. La Préfecture fait, quand à elle, état de 2 400 manifestants dans le cortège principal, et de « 2500 individus violents ». Les organisateurs - La voie est libre, Les Soulèvements de la Terre, le Groupe de lutte anti-macadam, la Confédération paysanne, Extinction Rébellion Toulouse, Attac, le Groupe national de sauvegarde des arbres et Solidaires 81, ces deux dernières organisations ayant déposé un parcours en préfecture - avaient brouillé les pistes. Au total, six cortèges sont partis du camp de base, dont cinq sur des parcours qui n’avaient pas été déposés.

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Crédits: Claire Fieux

Réunis pour l'avenir 

 

À 14 heures, la manifestation atteint le centre-ville de Saïx. Philippe Peres, le maire du village s’approche, reconnaissant Monsieur Rameau. « Eh bien, il y en a qui ont encore de l’énergie pour se déplacer ! Il y a une bonne cause avec octobre rose de l’autre côté de la route, heureusement qu’il y a de bonnes causes qui sont défendues. 

- Ah mais celle là aussi c’est une bonne cause. On en peut pas simplement ignorer ce genre de chose enfin ! » rétorque Monsieur Rameau. Le dialogue se conclut sur un ton fâché, les deux hommes partant aux opposés. 

 

Le cortège était ouvert par une dizaine de tracteurs klaxonnants, fanfares, batucadas. Une mobilisation souriante, motivée et déterminée à se faire entendre. Brandissant des pancartes « Stop A69 », « Le 69 oui, l’A69 non », « Police partout, justice nulle part », des familles entières, activistes et scientifiques se tenaient main dans la main face à un projet « absurde et écocide ».

Nicole, retraitée de 73 ans, est venue de Perpignan pour manifester. « C’est en partie à cause de nous que cela se passe comme ça. Le problème, c’est que c’est une majorité de retraités comme nous qui utilisons la voiture et qui votent. Pas étonnant qu’ils veulent adopter un tel projet. Donc si on peut au moins faire ça pour s’y opposer ! Nos modes de vie nous mènent droit dans le mur ! ».

 

« Nous sommes tous des écoterroristes ! » clame la foule. Les manifestants se mettent à danser, déguisés, maquillés, défiant du regard les autorités impassibles. Aucune altercation entre les manifestas du cortège principal sur la route de Toulouse et les gendarmes n’eut lieu à ce moment là. Du côté du cortège le plus déterminé, l’objectif était une cimenterie de la société Carayon, un site qui n’était pas protégé par les forces de l’ordre. C’est le cortège « rouge », composé de quelque 2 000 personnes  (chaque cortège était différencié par des drapeaux de couleur et répondait à des appellations diverses comme « utilité publique », « décarbonation » ou encore « désenclavement »), qui était chargé de pénétrer sur le site du cimentier.

Une ZAD en construction

Un champ rempli de tentes à perte de vue, deux chapiteaux abritant des scènes, des stands pour diverses associations écologiques dressées, des stands de soutien psychologique, des cantines, une infirmerie, un stand de crêpes et une buvette… L’organisation de la mobilisation ne laissait pas présager une éventuelle violence de la part des manifestants. À l’entrée du camp, un amas de bottes de paille inscrivait : « Vous avez tué nos arbres : vengeance ! ». Dans Saïx, des douzaines de camions de gendarmerie étaient amassés à divers endroits. « On ne sait pas quand, mais je pense qu’il devrait passer à l’attaque pour détruire la ZAD (ndlr. zone à défendre) », prévoyait une manifestante.

 

Non loin du camp de base, une ZAD était en construction dans le lieu-dit de La Crémade. Une ZAD que la mairie avait déjà tenté d’arrêter en venant déposer du fumier devant ces battisses en reconstruction. Tout allait bien, jusqu’au dimanche midi. « Je vais être très simple, très clair, très ferme : il ne peut pas y avoir de ZAD et il n’y aura pas de ZAD sur l’A69 », a déclaré dimanche midi le ministre des transports, Clément Beaune, invité de « Questions politiques » (France inter, France Télévisions, Le Monde).

 

Les familles réunies pour manger dans le camp se font soudainement surprendre par les forces de l’ordres venues déloger les occupants de la ZAD. Les maisons abandonnées où les opposants avaient pris place étaient totalement sous contrôle par les forces de gendarmerie en fin d’après-midi. Les forces antiémeutes ont fait usage de grenades lacrymogènes pour disperser les manifestants, des véhicules blindés ont fait face à des manifestants scandant : « No macadam ! No macadam ! » bras dessus, bras dessous.

Alors que les manifestants dénonce un gouvernement qui désavoue ses promesses sur les objectifs environnementaux, le ministre de l’Intérieur dénonce le comportement d’individus violents et félicite les forces de l’ordres. Et Thomas Brail qui prônait la non-violence est, quant à lui, matraqué au genoux et au poignet par les forces de l’ordre.

 

« Vu le niveau de dénis du gouvernement, ça m’étonnerait que cela suffise pour arrêter le projet. L’ambiance était géniale, c’était super beau d’être tous réuni pour une même cause. Mais le gouvernement ne répond que par la violence. On a beau faire de très belles choses, au final, on a l’impression que seule la violence gagne », confiait Eve, jeune manifestante de vingt ans. 

*Nom fictif 

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