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Crédits : Geostrategia

Régimes autoritaires en Afrique: fatalité dictatoriale ou espoir démocratique

Par Margaux Guerif

Continent méconnu et souvent ignoré dans la vision occidentalisée du monde, l'Afrique fait rarement son apparition dans la presse pour des nouvelles réjouissantes. Attentats terroristes, crises migratoires ou problèmes climatiques. Et les régimes politiques en place n’aident pas. Difficultés économiques, idéologiques, censure étatique ou coups d’État. L’instabilité politique qui règne sur le continent pose la question de la causalité et d’une quelque fatalité qui le toucherait. Qu’en est-il vraiment? Retour sur la politique d’un continent.

Les faits sont là. Sur 55 pays en Afrique, 19 sont classifiés de régime autoritaire par l’Institut international pour la démocratie et l'assistance électorale (IDEA), selon les chiffres de 2021. Quatorze autres sont considérés comme des régimes hybrides et 8 se classent parmi les démocraties, mais aux faibles performances. Plus précisément pour les régimes autoritaires, cela signifie que les libertés et droits de chacun ne sont pas respectés, les élections pour choisir les gouvernants sont souvent bafouées, et la corruption y domine une large partie de la vie politique. Cela se note notamment en observant le nombre de dirigeants à la tête de leur pays depuis plus de 15 ans. En Guinée-Équatorial, le dirigeant Teodoro Obiang Nguema Mbasogo, arrivé à la tête du pays en 1979 à la suite d’un coup d'État, est resté 37 ans en place. On peut également citer le cas d’Omar Bongo, président autoritaire du Gabon de 1967 jusqu’à sa mort en 2009, soit 42 ans. Au Tchad enfin, la famille Déby gouverne depuis 1990. En 2021, le fils, Mahamat Déby, a pris la succession de son père, Idriss Deby, se proclamant président à son tour. Dans ces nombreux cas, des élections ont tout de même eu lieu pour donner l’image d’un État de droit, mais les victoires écrasantes dès les premiers tours sont pourtant la preuve d’une fraude plus ou moins importante en fonction des pays. Pour reprendre l’exemple du Gabon, en cinq élections présidentielles, le président Idriss Déby n’a jamais gagné avec moins de 60% des voix dès le premier tour.

De plus, ces pays soumis aux régimes autoritaires connaissent souvent de graves problèmes de sécurité, qui peuvent mener, comme très récemment au Burkina Faso, à des coups d’État. En septembre 2022, le chef militaire Ibrahim Traoré a en effet renversé le régime du lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba, arrivé au pouvoir en janvier dernier par un premier coup d'État. Le pays se trouvait déjà dans une grande difficulté, avec une crise humanitaire et des famines, dues notamment à la guerre en Ukraine. Selon une étude du Cline Center de l’université de l'Illinois aux États-Unis (1), depuis 1950 le continent africain a connu 214 putsch ou tentatives de putsch, 25 depuis 2010, dont 6 en 2020.

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Ces instabilités politiques suscitent dès lors de vives agitations dans les pays, durant lesquelles les dirigeants se servent de la force pour réprimer les opposants. Les arrestations arbitraires et l’utilisation de la violence sont en effet systématiques dans certains cas. En Erythrée, par exemple, des journalistes, militants, anciens membres de gouvernement disparaissent, et de nombreux lycéens sont enrôlés de force dans le service national obligatoire pour une durée indéterminée. On observe également au Burkina Faso la création d’une milice spécialement dédiée à la menace et à la répression des opposants, qui aurait notamment agressé physiquement l’ancien président de l’Assemblée Nationale, Alassane Bala Sakande.

 

Dans l’ensemble de la population, les conséquences des politiques dictatoriales sont également désastreuses. Comme évoqué plus haut, de grandes famines touchent les pays, principalement en Afrique subsaharienne ou dans la corne d’Afrique. Et si les raisons principales sont liées à l'environnement désertique, la sécheresse aggravée par les dérèglements climatiques, les tensions politiques internes jouent aussi un rôle majeur. Les conflits armés locaux provoquent en effet de grandes difficultés d’accès à la nourriture, et les élites économiques, conseillères proches des dictateurs, ne facilitent pas l’accès des aides humanitaires aux populations. Ces facteurs cumulés provoquent alors de grandes vagues d’émigration. Les populations affamées souhaitent reprendre leur destin en main, et nombreuses sont les tentatives de fuite vers des pays plus sécurisés, dont l’Europe à hauteur de 20%.

 

On peut toutefois analyser plus en détail l’histoire de ces dictatures, pour comprendre la source originelle de ces désastres politiques et humanitaires et les conséquences directes qu’elles ont. Pour cela, il est nécessaire de prendre du recul, de revenir quelques décennies, voire quelques siècles dans le passé, et les pays occidentaux sont loin d’être innocents dans cette affaire.

L’explication par la colonisation

Les années post-seconde guerre mondiale marquent un tournant dans l’histoire de l’Afrique, avec une vague de révolutions, plus ou moins violentes, dans la lutte pour l’indépendance. Depuis le XIXe siècle, en effet, la quasi totalité des pays d’Afrique vivait sous le joug des colonisateurs européens, dont l’influence politique et culturelle se fait encore ressentir aujourd’hui.

En 1885, la conférence internationale de Berlin a décidé du sort des frontières entre les pays africains, frontières désormais reconnues pour la plupart telles quelles. Ces séparations arbitraires ont inévitablement participé aux échauffements qui, de nos jours, agitent encore les pays. Certains peuples ont été divisés, et se sont vus obligés de cohabiter au sein de ces nouvelles frontières avec d’autres ethnies à la langue, à la culture et aux traditions différentes (2). Le travail d’homogénéisation nécessaire au bon vivre ensemble est une épreuve de longue durée qui aujourd’hui n’est toujours pas efficiente.

 

Jusque dans les années 1960 et jusqu’en 1975 pour le cas du Mozambique, les puissances coloniales européennes jouaient un rôle agrégateur pour permettre un minimum d’unification dans ces pays divisés. Cependant, la vague de rébellion qui met fin à cette présence extérieure va créer une largement désorganiser ces États. Des mouvements indépendantistes vont alors émerger et, à la suite des décolonisations, leurs leaders vont profiter de ce désordre pour s’imposer à la tête des pays. En tant que figures autoritaires, ils justifient leur place par le besoin de pallier les hétérogénéités et d’assurer un minimum de cohésion, mais au dépend souvent d’une partie minoritaire non-issue de la même ethnie que le dictateur. Le cas du Congo belge en est révélateur. À son indépendance en 1960, le pays tombe dans le chaos sous l’effet de divisions internes. La province de Katanga fait sécession. Le Premier ministre Lumumba et le président Kasa-Vubu, élu 1 mois avant l’indépendance, s'opposent sur la question. L’ONU, présente initialement pour assurer une transition pacifique, finit par retirer ses troupes, donnant lieu à des rébellions de toutes parts. En 1965, après l’assassinat du Premier ministre quelques années plus tôt, c’est finalement Mobutu Sese Seko qui arrive au pouvoir. Dictateur du Zaïre (nouveau nom donné au Congo en 1965) pendant 32 ans, soutenu par les États-Unis dans une période de Guerre Froide aux enjeux majeurs, il va surtout être connu pour son économie de pillage des terres et des populations y vivant. Ainsi, on voit comment la présence colonisatrice durant des décennies est à l’origine de régimes autoritaires en Afrique, car ceux-ci se sont directement formés en opposition au modèle imposé par les Européens.

Aujourd’hui encore, certains de ces régimes sont toujours en place, comme on l’a vu pour le cas du Tchad où l’ancienne puissance colonisatrice française garde toujours des intérêts. Il faut par exemple rappeler qu’en 2008, une tentative de renversement du pouvoir a eu lieu, mais a échoué dû à un soutien logistique français alloué au dictateur Déby. Ce support militaire était celui de l’opération Barkhane, censée combattre les forces terroristes en place, qui a pourtant été utilisée à des fins politiques. En cause ici, les intérêts économiques que la France a pour les ressources tchadiennes. Le pétrole et les mines, d’or notamment, florissantes dans la région, attirent en effet de nombreux investisseurs, et la France, en tant qu’ancienne puissance colonisatrice, use de ses connexions pour y avoir l’accès privilégié. En échange, elle fournit au dictateur les moyens de se maintenir en place, et donc ces forces armées pour réprimer toute opposition. À noter que le Tchad ne fait pas figure d’exception puisqu’au Cameroun également, le gouvernement français soutient le leader autoritaire Paul Biya depuis sa prise de fonction en 1982. Ainsi, cette aide occidentale apportée aux dictateurs africains ralentit considérablement les timides démocratisations engagées. 

L’espoir d’un processus démocratique

Malgré un entourage autoritaire et une histoire douloureuse, certains pays d’Afrique parviennent à surmonter l’autoritarisme au travers de long processus de démocratisation. Ces processus ont pour la plupart été entamés dans les années 1990, lorsqu’une large vague démocratique a touché l’ensemble du continent. La grande majorité des pays avaient alors déjà instauré un processus électoral pluraliste avec une concurrence (bien que, comme vu plus haut, plusieurs dirigeants sont accusés de fraude pour assurer leur réélection). Néanmoins, des pays comme l’Île Maurice (seul à être catégorisé comme démocratie pleine), le Bénin, l’Afrique du sud (après la fin de l’apartheid en 1991) ou le Sénégal présentent une réelle aspiration démocratique. Pour ce dernier, les récentes élections législatives de 2022 sont indubitablement un exemple du bon déroulé de ce processus (bien que l’Assemblée Nationale, dominée par la majorité présidentiel à seulement un député près (83-82), reste en forte tension). Tout au long de son histoire, le Sénégal a fait partie des pays africains les plus avancés démocratiquement, en étant notamment en 1872 l’un des seuls à se voir attribuer des “communes de plein exercice”. Puis en 1914, Blaise Diagne a été le premier député noir à siéger à l’Assemblée Nationale française, représentant de ces quatre communes en métropole. Acquérant son indépendance en 1960, le pays connaît un régime présidentiel depuis 1963 et il est l’un des rares en Afrique a ne pas avoir subi de coup d'État réussi. 

 

De nos jours, la majeure partie de la population africaine développe également cette ambition démocratique. Selon un sondage de l’Afrobaromètre réalisé sur 34 pays en 2019, 68% de la population se veut favorable à vivre dans des sociétés libres et ouvertes. Il affirme également qu’ils obtiennent moins de démocratie qu’ils le voudraient.

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Source : Afrobaromètre

Malgré ces démocratisations, la politique africaine reste toutefois méconnue, dû à une absence de couverture médiatique. Dans ce cas, comment prôner des avancées démocratiques quand personne n’est au courant ? Comment dénoncer abus et corruption, quand les médias de masse ignorent complètement les évènements?

Pour une vision plus optimiste de l'Afrique, des personnalités mettent en avant les valeurs de partages, les traditions culturelles des différents pays, à l’instar de la youtubeuse Crazy Sally, d’origine sénégalaise, qui est partie dans plusieurs pays d’Afrique pour montrer une part plus rose de ce continent. 


 

(1) Powell et Thyne ; Cline Center, University of l’Illinois ; étude de VOA

 

(2) Il faut toutefois nuancer cet aspect car la cohabitation de plusieurs populations différentes s’est aussi faite en Europe, dans les Balkans, et les régimes en place sont loin d’être aussi autoritaires qu’en Afrique. Pour plus d’information, voir “Frontières africaines et mondialisation” de Catherine Coquery-Vidrovitch Dans Histoire@Politique 2012/2 (n° 17), pages 149 à 164.

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