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Le parti ultra-libéral, l’outsider de la politique américaine

Par Armand Bécasse

Qu'est-ce qu'est le parti ultra-libéral, troisième parti américain derrière les géants républicain et démocrate ? 

Le 3 novembre 2020, Joe Biden était élu président des États-Unis d’Amérique, devenant ainsi le 18e démocrate accédant au poste suprême. Face à lui se tenait Donald Trump, 45e président et 18e républicain siégeant à la Maison-Blanche. Depuis la fin du XIXe siècle et la création des deux partis, républicains et démocrates dominent largement les élections présidentielles et législatives. Au fil des ans et des campagnes, le champ politique américain s’est bipolarisé au détriment des autres partis. Toutefois, même si l’espoir d’une victoire d’un « underdog » outre-Atlantique paraît ridicule, les partis mineurs existent bel et bien. Deux d’entre eux ont même acquis une crédibilité au sein de la politique américaine : les verts et le parti ultra-libéral (libertarian party), ce dernier prenant paradoxalement une certaine ampleur.

Lors des élections de novembre 2020, 1,20 % des Américains ont voté pour Jo Jorgensen, la représentante du parti ultra-libéral (LP). Un pourcentage dérisoire comparé aux 50 % raflés par Joe Biden, mais qui, remis à une échelle plus humaine représente 1 862 179 votes populaires, soit plus que Phoenix, la 5e ville la plus peuplée des États-Unis avec 1 626 078 habitants. Presque deux millions d’Américains ont donc, malgré une défaite certaine, sacrifié leurs voix pour le majeur parti mineur des États-Unis.

L’incongruité de ce parti, ses idéaux et ses votants, méritent que l’on décrypte qui sont les ultra-libéraux, les outsiders de la politique américaine.

 

Le parti libéral, quèsaco ?

 

Tout d’abord petit point historique : le parti libéral a été fondé en 1971, soit bien après les deux « grand old party », par un groupe de membres des Partis démocrate et républicain et autres activistes politiques.

Le parti trouve très rapidement des adhérents et en 1978, Dick Randolph devient le premier libertarien élu à la chambre des représentants de l’Alaska, une première victoire significative.

Enfin, le 29 avril 2020, le membre de la Chambre des représentants Justin Amash, élu pour le Michigan, d'abord en tant que républicain puis en indépendant, rejoint le Parti libertarien, devenant ainsi le premier membre libertarien au Congrès de l'histoire. Le parti trouve donc des adhérents un peu partout aux États-Unis, même dans les plus hautes sphères politiques. 

 

Le parti se présente comme ultra-libéral : l’idée première est que l’État ne doit en rien interférer dans les libertés des citoyens et se faire le plus petit possible. Dans cette logique, l’État ne peut exercer que ses fonctions régaliennes et seulement éviter aux Américains de se faire du mal entre eux, en se postant sur des idéaux politiques variés en fonction de la question. Le parti à lui-même été fondé par des démocrates et des républicains, dans le but d’extraire « le meilleur des deux mondes » selon Gary Johnson, candidat libertarien à la présidentielle de 2016. 

Sur les questions économiques, « the libertarian party » se positionne à droite de l’échiquier politique, en ayant pour but de privatiser les entreprises, l’éducation et le système de santé. L’idée est que les gens puissent avoir la liberté de choisir la qualité de leurs éducations et de leurs soins, et que les entreprises puissent profiter d’une libre concurrence. Selon la chaîne YouTube Illustrate to educate, le parti est aussi opposé aux taxes car il préfère laisser aux citoyens la liberté de donner de l’argent, ou non, au gouvernement. Sur la question des droits civils, le parti se positionne à gauche en prônant des droits égaux pour tout le monde : acceptation des droits LGBTQ+, autorisation du droit à l’avortement, etc. Toujours sur l’idéal libertarien, le parti autorise le port d’arme et la légalisation du cannabis. Il dépénaliserait aussi les délits « sans victimes », tels que les drogues, la pornographie, la prostitution, la polygamie et les jeux de hasard. Enfin, sur l’immigration, tous les immigrés cherchant une vie meilleure sont les bienvenues sur le territoire américain, excepté s’ils ont un passif de violence. Les ultra-libéraux sont ainsi pour une immigration plus accessible.

 

Le parti a donc un seul mot d’ordre : la liberté. Cependant, ce système est soumis à de nombreuses critiques. Les libertariens se fondent en effet sur la bonté et la bienveillance de chacun et paraissent persuadés que les Américains sont capables d’agir pour leur propre bien, ce qui est loin d’être le cas. Selon Hasan Piker, rédacteur au Huffington Post « le libertarisme est similaire au communisme. À première vue, elles sont toutes deux nobles, mais les théories les plus ambitieuses reposent sur la liberté individuelle et l’égalité. Cependant, dans la pratique, les deux concepts mènent à des résultats qui ne sont pas aussi purs ».

Les idées libérales peuvent être difficiles à mettre en place d’un point de vue pragmatique mais cela n’empêche pas des millions de personnes de voter pour Jo Jorgensen en 2020.

 

Le « libertarian party », ça vous gagne

 

Ces votants ont des arguments pour se défendre. Il est facile de trouver sur Internet les fervents supporters du parti de Jo Jorgensen : le #libertarian ou les abonnés du compte officiel du parti permettent de demander directement aux votants leurs raisons et leurs choix politiques. 

Hutch Stowe est un lycéen d’Atlanta que j’ai contacté après l’avoir remarqué dans les abonnés du compte Instagram du parti. Il n’est pas encore en âge de voter mais a tout de même des idées politiques bien claires. Sa famille est républicaine et Hutch l’est aussi puisqu’il croit majoritairement à « des valeurs conservatrices ». Cependant, de nombreuses idées du parti ultra-libéral l’intéressent, notamment quand les questions se penchent « sur les problèmes sociaux et le service public ». Il apprécie aussi la façon dont le parti ultra-libéral se veut petit et transparent, en opposition aux « grand old party corrompus ».

 

Joseph C. Thomas est papa d’un petit garçon qu’il poste très souvent sur son Instagram. Dans ses 486 abonnements se trouve le parti de Jo Jorgensen. Joseph a effet voté pour le « libertarian party » à la dernière élection. Malgré une défaite certaine, il trouvait important de voter pour le parti qui « le représentait le plus ».

Enfin, par le biais de Facebook, j’ai pu discuter avec Ken Moellman, vice-président du comité national du parti ultra-libéral. Ken est membre du parti depuis 1998 et travaille activement au parti depuis 2006. Il partage l’idée que le gouvernement est trop grand et « s’infiltre trop dans la vie des individus ». D’un point de vue plus philosophique, le vice-président pense que la conception du bien et du mal étant différente entre chaque individu, le gouvernement ne devrait pas poser de limites arbitraires. Sur la question du vote perdu, sa réponse est très intéressante : « Par le passé, ceux qui se sont présentés contre les grands partis et qui ont eu un bon rendement ont vu des morceaux de leurs programmes politiques adoptés par l’un des grands partis, parce que ces partis veulent obtenir ce segment des électeurs. Les principaux exemples récents sont l’avancée du Parti démocratique vers la gauche politique, après Ralph Nader en 2000, et l’adoption de la plateforme de Ross Perot sur la réforme de l’ALENA ». Ralph Nader était le candidat vert à la présidentiel de 2000. Il est notamment perçu comme celui ayant fait perdre Al Gore en « éparpillant » les voix du Parti démocrate. En effet, la politique américaine est au suffrage universel indirect et les résultats entre républicains et démocrates peuvent être très serrés, à la voix près. Dans le but de rallier le plus de voix, le Parti démocrate avait adopté la plateforme de Ross Perot sur la réforme de l’ALENA. Celle-ci permettait de réduire le nombre d’entreprises américaines expatriées sur le sol mexicain pour une main-d’œuvre moins cher. Une action très socialiste donc, en faveur d’une économie américaine et d’un respect des travailleurs étrangers. La réforme n’est pas passée puisque le républicain George W. Bush a remporté les élections mais cet exemple illustre parfaitement le propos de Ken Moellman : les petits partis peuvent titiller les grands et les forcer à adopter certaines de leurs idées. Le parti a donc de quoi se défendre. Ken nous explique qu’au sein du LP, l’organisation se développe et Ken, Hutch et Joseph nous démontrent que les votants des partis outsiders ne sont pas des marginaux aux idéaux trop rêveurs, leurs idées étant terre-à-terre et leurs actions concrètes.

 

Cependant, une critique peut être émise sur la gestion de la politique du parti ultra-libéral. En tant qu’underdog des États-Unis, le LP ne ferait-il pas mieux de gagner d’abord du terrain au niveau local avant de s’attaquer au poste suprême ? Voici ce que Ken en pense : « Il y a une pression au sein du parti pour se porter candidat à des postes inférieurs, et nous avons eu beaucoup plus de succès là-bas. En raison de la façon dont divers États ont fait fonctionner leurs lois, nous sommes obligés de présenter des candidats à la présidence afin de nous présenter à ces postes inférieurs. Ces lois sont connues sous le nom de « ballot access laws » et elles déterminent qui est autorisé à se présenter sous la bannière d’un parti en particulier. C’est une politique qui agit comme une ancre sur les petits partis aux États-Unis et que je crois injuste. Au lieu de cela, tous les candidats devraient être soumis aux mêmes procédures pour apparaître sur le bulletin de vote, indépendamment de l’affiliation à un parti. Mais nous nous attendons à voir beaucoup de libertaires se présenter pour le bureau local en 2021 et 2022 ». La « ballot access laws » peut donc être contraignant, mais comme Ken l’explique si bien, le travail est en marche.

 

Et on en pense quoi au final ?

 

Quand je me suis lancé dans mes recherches, je ne m’attendais pas à découvrir un parti si organisé avec des idées bien à lui et des partisans sûrs de leurs choix et de leurs convictions. Je ne suis pas ici pour donner mon avis sur leurs idéaux mais on peut conclure en affirmant que le « libertarian party » est ambitieux, de par ses projets et ses idéaux, et propose un vent de fraîcheur dans une politique américaine bipolaire. Car finalement, les petites bêtes peuvent finir par embêter les grosses. Et même si la bataille entre les lions démocrates ou républicains contres les rats écologistes ou ultra-libéraux paraît perdue d’avance, « on a souvent besoin d’un plus petit que soi ».

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