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© Des agros qui bifurquent (capture d’écran YouTube)

Les écoles d’ingénieurs peuvent-elles devenir le nouveau bastion du mouvement écologique ?

Par Séverin Lahaye

Il y a maintenant plus d’un an, huit élèves de l’école d’ingénieur Agro Paris Tech lançaient un appel à « bifurquer » lors d’un discours qui avait fait grand bruit dans les médias. Depuis, l’engagement politique parmi les élèves des dites « grandes écoles d’ingénieurs » fait l’objet d’une couverture médiatique pointue. Ce désir de « bifurcation » reste toutefois confiné à une infime partie des étudiant·e·s de la filière ingénieure, masquant ainsi le faible intérêt porté par la majorité d’entre eux·elles aux questions environnementales. Mais certains facteurs pourraient faire de la filière le repère d’un mouvement écologique majeur.

Les articles et rapports fleurissent autour des mobilisations sociales et écologiques des jeunes diplômé·e·s issu·e·s de grandes écoles d’ingénieurs (Polytechnique, Centrale, les Mines, ou Agro Paris Tech). Car les actions en leur sein se multiplient : manifestations lors de forums d’entreprises, discours revendicatifs lors de remise de diplômes, tribune appelant à ne pas travailler pour BNP Paribas, ou encore critiques des formations dispensées par ces grandes écoles. Pour un milieu habitué à être sous le feu des projecteurs uniquement pour célébrer la réussite de la « filière française », cela fait tache. Qui plus est quand la fréquence de ces actions, tout comme leur couverture médiatique augmentent, traduisant un engagement écologique dont l’ampleur et la radicalité s’intensifient.

Néanmoins, ces étudiant·e·s militant·e·s ne représentent qu’une proportion limitée de la totalité des étudiant·e·s des grandes écoles. De même, malgré la couverture médiatique amplifiant la résonance de leurs actions et leurs appels à bifurquer, les effets de ceux-ci restent faibles. Par exemple, un tiers des jeunes diplômé·e·s de grandes écoles obtiennent leur premier emploi au sein de grandes entreprises (plus de 5000 salariés) et un tiers au sein d’ETI (Entreprise de Taille Intermédiaire, comptant entre 250 et 5000 salariés). Ces proportions restent d’ailleurs plutôt stables, ce qui permet de mettre de côté l’hypothèse d’une grande désaffection de la part des ingénieur·e·s pour le métier. Il serait donc mal avisé de généraliser le militantisme d’une partie des élèves de ces quelques écoles à l’entièreté des 168 000 élèves des 204 écoles d’ingénieurs que compte la France. Malgré tout, ce militantisme mérite une étude poussée, car il illustre une nouvelle dynamique  au sein de l’écosystème ingénieur traditionnellement connu pour sa faible politisation.

 

Les raisons de l’apolitisation des élèves ingénieurs

 

La politisation des étudiant·e·s est dépendante de plusieurs facteurs, interagissant les uns avec les autres. Celle-ci est d’abord liée aux conditions dites « socialement héritées » ou « socialisations primaires », notamment la position sociale et la politisation des parents. Ainsi, on pourrait imaginer que les élèves ingénieur·e·s sont pour la plupart politisé·e·s. Car l’élève ingénieur classique serait un garçon dont au moins un des parents est CPIS (Cadre et Professions Intermédiaires Supérieures), et issu d’une CPGE (Classe Préparatoire aux Grandes Ecoles). En effet, seulement un tiers des étudiant·e·s en cycle ingénieur sont des femmes, et leur répartition reste concentrée dans des domaines considérés comme « féminins » (chimie, agroalimentaire). Malgré une féminisation croissante du secteur, les inégalités salariales entre femmes et hommes ingénieur·e·s persistent.

Cette faible diversification genrée s’additionne à une faible diversité sociale. « À la rentrée 2022, la part d’étudiant·e·s inscrit en cycle ingénieur dont le parent référent est cadre supérieur, enseignant ou exerçant une profession libérale s’élève à 51,9 % » détaille une note du Ministère de l’enseignement supérieur parue en juin dernier. Les étudiant·e·s dont au moins un des parents est employé représentent 10,8% des élèves ingénieur·e·s, et seulement 5,5% des élèves sont issu·e·s de la classe ouvrière. Mais malgré la présence majoritaire d’étudiant·e·s issu·e·s de classes aisées, la politisation en école d’ingénieur reste faible. Sébastien Michon, sociologue et directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), a étudié la politisation des étudiant·e·s en fonction de leur filière d’étude dans un article intitulé "Les effets des contextes d’études sur la politisation", paru en 2008. Il a notamment remarqué que parmi un échantillon de 36 élèves ingénieur·e·s, 3 déclarent lire Le Monde et 72% d’entre eux·elles affirment peu ou pas du tout maîtriser les questions politiques.

Plusieurs raisons peuvent expliquer cette faible politisation. D’abord les pratiques de lecture liées au domaine d’étude influent sur la politisation des élèves. Ici, le propos n’est pas de dire que les élèves ingénieur·e·s ne lisent pas, mais que leurs pratiques de lecture et de suivi de l’actualité diffèrent des étudiant·e·s issu·e·s d’autres filières. « Une majorité d’étudiant·e·s à l’IEP [ndlr : Institut d'études politiques], en droit, école de commerce et économie citent Le Monde, une infime minorité en pharmacie, école d’ingénieur, IUT [ndlr : Institut Universitaire de Technologie] génie civil et biologie », explique le sociologue. En fait, l’obtention de leur diplôme ne dépend pas de leur suivi de l’actualité ou de la politique, et le contenu de leur formation, axée sur les sciences, ne permet pas de connaître les fonctionnements et fonctions des institutions politiques. Les compétences de compréhension et d’attention portées à ces questions restent donc limitées chez les étudiant·e·s en filière scientifique, et notamment en école d’ingénieur.

Qui plus est, une politisation « socialement héritée » ne se perpétuerait pas chez un·e étudiant·e dont le domaine d’étude ne valorise pas le suivi ou la connaissance de l’actualité, qu’elle soit politique ou non. « Les filières de sciences humaines et sociales représentent des lieux d’acquisition et d’activation de dispositions politiques – avec des nuances entre elles –, celles de sciences et techniques plutôt des lieux de mise en veille. » C’est pourquoi la proportion d’élèves ingénieur·e·s impliqué·e·s dans des actions militantes reste faible.

 

Les facteurs à l’origine de ces mobilisations de plus en plus nombreuses

 

Nuançons toutefois ce tableau : oui, le milieu ingénieur n’est pas propice à la construction d’une identité politique, mais plusieurs facteurs conjoncturels pourraient changer la donne. Antoine Bouzin, sociologue au Centre Emile Durkheim, en cite plusieurs dans une interview donnée au Monde. D’abord, la couverture médiatique des problèmes environnementaux participe à l’éveil politique et écologique chez les étudiant·e·s ingénieur·e·s, qui, bien que faisant partie d’une filière apolitisée, peuvent être sensibles à ces enjeux via leurs socialisations primaires. Ainsi, on observe depuis les années 2000 « l’émergence de groupes d’élèves organisés en clubs ou en associations et mobilisés sur les questions environnementales ». Ces associations « essaiment et gagnent une nouvelle audience à mesure que l’urgence de la crise climatique s’accroît » explique le sociologue. 

Comme par exemple à l’Institut national des sciences appliquées de Rouen (INSA Rouen) où l’association Greensa rencontrent des étudiant·e·s « globalement intéressé·e·s par ce que l’on fait et qui y trouvent un intérêt en général » nous raconte Raimbault Deschildre, élève en 4ème année à l’INSA Rouen et président de l’association. Sensibilisation sur le compte Instagram, installations de composteurs au sein des résidences de l’école, garde-mangers collectifs, dégustations de produits vegan ou encore ventes de paniers de légumes bio, voilà le type d’actions que mènent l’association au sein de l’école. Mais ce dernier regrette le manque de prises de positions politiques de l’association, limitée du fait de son statut (elle est dépendante du BDE de l’école). « Après, une trop forte politisation de l’association réduirait sûrement notre audience ce qui serait dommageable pour l’association, et comme on roule bien, finalement ce n’est pas plus mal. En fait, même si nos actions se réduisent à des petits gestes, je trouve cela important de continuer à les mettre en place. » Car additionnés entre eux, ces petits gestes permettent d’influer sur les comportements, mais également sur les cursus proposés par les écoles d’ingénieurs.

Car face aux pressions de ces associations, les écoles d’ingénieurs se voient obligées d’intégrer à différents degrés les problématiques environnementales dans leur cursus de formation. Par exemple, le groupe INSA, formant 22 000 ingénieur·e·s chaque année, a lancé en 2020 avec l’aide du Think Tank The Shift Project le programme Climatsup INSA, « un travail d’intégration de la problématique climat-énergie dans ses enseignements sur l’ensemble du parcours de formation ». Au-delà des enjeux environnementaux, ces élèves engagé·e·s souhaitent recevoir davantage de cours de sciences humaines et sociales, « pour avoir un peu de recul sur l’histoire des techniques et de leurs conséquences sur le monde et la société » détaille Antoine Bouzin, interrogé par Le Troisième Œil.

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Jérémy Désir, membre de l’association Vous n’êtes pas seuls, interviewé par Le Média en 2019 - © Le Média / capture d’écran YouTube

Mais comme expliqué plus haut, les associations diffèrent au niveau de leurs objectifs politiques et de leurs modes d'action, comme le note Justine Canonne dans un article pour Alternatives Economiques (à retrouver ici en accès libre), qui énumère les diverses activités et positions prises par les étudiant·e·s ingénieur·es. « Des actions de plaidoyer du collectif Pour un réveil écologique, qui appelle à faire évoluer cursus et entreprises ou à former les parlementaires aux enjeux de climat et de biodiversité, jusqu’au manifeste du mouvement des Desert’heureuses, appelant à ne pas rejoindre les employeurs polluants pour s’engager dans des luttes écologistes et sociales, en passant par l’association Vous n’êtes pas seuls, dont le mot d’ordre est “participez à l’offensive écologique depuis votre position professionnelle”. » Bien que ces associations restent à ce jour minoritaires au sein des vies associatives des écoles, et que les transformations des cursus ingénieurs se heurtent à des blocages structurels, ces facteurs tendanciels ne peuvent que renforcer la diffusion d’une conscience environnementale au sein des écoles d’ingénieurs, et participer à la politisation de leurs étudiant·e·s.

Un autre facteur relevé par Antoine Bouzin réside dans la transformation du registre de communication et de protestation des organisations écologiques. « Cette nouvelle mise en langage des revendications écologistes permet de formuler des discours subitement plus intelligibles aux yeux d’ingénieur·e·s considérant fréquemment les questions politiques comme irrationnelles car mobilisant insuffisamment la raison scientifique » explique-t-il dans un article pour The Conversation. « Des entrepreneurs de cause, et notamment des ingénieurs reconnus, proposent une lecture extrêmement critique des mesures politiques et économiques environnementales mises en œuvre qui interrogent par ailleurs les finalités de l’ingénierie. »

Ce type de discours préférant une grille de lecture technique des problèmes environnementaux à une grille de lecture politique permet aux étudiant·e·s ingénieur·e·s de saisir ces problèmes sans être confronté·e·s aux manques de connaissances et compétences évoqués précédemment. Au contraire, comprendre et analyser les problèmes environnementaux à l’aide d’une vision technique constitue une approche pertinente pour une audience habituée à ce genre d’analyse. Les élèves ingénieur·e·s apprennent à résoudre des problèmes, donc présenter les enjeux environnementaux comme des simples problèmes à solutionner peut les amener à s’y intéresser de façon approfondie.

Ce type d’engagement est un de plus observé dans les travaux menés par Antoine Bouzin. « Ces élèves apolitisé·e·s vont politiser l’écologie, pensant que les “solutions” aux problèmes environnementaux doivent être prises en charge par le politique, que ça soit l'État, les élus, l’administration. Mais quand vous posez des questions à ces personnes sur leur propre politisation, elles vont plutôt vous dire qu’elles n’y connaissent rien, qu’elles sont mal à l’aise avec ce type de question, etc. » Mais comme l’explique le sociologue, « l’action de politiser son objet entraîne l’usage de références politiques qui augmentent la probabilité que l’individu se politise ».

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Jean-Marc Jancovici, en juillet 2019 - © Cyrille Choupas/Socialter.

Ce type de mobilisation correspond à la vision portée par le Think Tank The Shiftt Project qui « œuvre en faveur d’une économie libérée de la contrainte carbone », mais en n’étant pas « anticapitaliste par principe ». Il a été créé par plusieurs expert·e·s sur le sujet dont Jean-Marc Jancovici dont le discours écologique est particulièrement adapté aux étudiant·e·s ingénieur·e·s (voir son cours des Mines sur YouTube faisant des millions de vues). Son discours propose en effet une porte d’entrée attrayante pour les étudiant·e·s ingénieur·e·s aux questions écologiques, et participe à « l’essaimage » d’une conscience écologique au sein de la filière. Et notamment au sein des écoles, comme à Centrale Paris où ce-dernier est considéré comme une « rockstar », raconte Aymeric Pasquier, étudiant en 5ème année à Centrale Paris. « L'association qui organise des conférences de personnalités à l’école l’a invité en novembre dernier, et son intervention est celle qui a réunit le plus de personnes depuis celle de François Hollande en 2020 [ndlr : la vidéo YouTube de sa conférence compte presque 600 000 vues sur la chaîne de l’association]. Si on organise un débat sur le thème de l’énergie/climat avec des étudiant·e·s de Centrale, trois quarts d’entre eux·elles, voire plus, citeraient Jancovici à un moment dans leur argumentaire ». Notons toutefois que ses thèses restent discutées, notamment celles véhiculées par sa BD Le Monde Sans Fin (parue en 2021 aux Éditions Dargaud), livre le plus vendu de 2022.

 

Les écoles parisiennes, représentatives de l’ensemble de la filière ?

 

Ce « frémissement politique », comme le désigne Antoine Bouzin, observé principalement dans les grandes écoles parisiennes, peut-il être généralisé à l’ensemble des écoles ? Oui, d’après le sociologue. « On observe une mobilisation croissante des élèves ingénieur·e·s un peu partout en France, mais davantage au sein des grandes écoles. Les élèves à l’origine de ces organisations écologiques sont issu·e·s des écoles les plus prestigieuses, car iels bénéficient d’une forte légitimité dans le champ des ingénieur·e·s. Par exemple, Pour un réveil écologique a été créé par des élèves diplômé·e·s de Polytechnique, Ingénieur·es engagé·es par des élèves de l’INSA Lyon. »

C’est là où une des caractéristiques propres à la filière ingénieure peut se retourner contre elle-même. En effet, il existe une très forte hiérarchie entre les écoles d’ingénieurs et les élèves issu·e·s de celles-ci. Un·e élève de Polytechnique ou de l’INSA Lyon peut se sentir plus « libre » de se mobiliser pour la cause écologique du fait de sa position hiérarchique dans le secteur qu’un·e élève issu·e d’une école moins prestigieuses, dont la reconnaissance et la légitimité est moindre. « On observe une critique plus radicale dans les écoles du haut de classement car leurs élèves bénéficient par transitivité de l’aura et du capital symbolique de ces écoles. Leur capacité à se mobiliser est donc plus forte du fait de stratégies, pas forcément conscientes, de reconnaissance, d’autorisation, de validation. Vous avez plus de crédit vis-à-vis de vos pairs du monde de l’ingénierie quand vous faites une action à Polytechnique que dans une autre école. Ce qui est très regrettable à mon sens » affirme Antoine Bouzin.

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En 2021, des étudiant·e·s de Polytechnique aidés de militant·e·s écologistes ont manifesté contre l’implantation d’un bâtiment de recherche de Total sur le campus de Polytechnique - © Martin Bureau/AFP.

Qui plus est, « le militantisme est stigmatisé dans les écoles d’ingénieurs. Être militant·e s’oppose presque termes à termes à ce qui définit le métier d’ingénieur·e. Un·e ingénieur·e est censé·e être neutre, objectif, rationnel·le, alors que le·la militant·e va plutôt être quelqu’un.e de partial.e, dans la conflictualité, irrationnel·le » note le sociologue. Mais ce frein à l’engagement n’est pas systématique. « Il y a une forme d’autorisation à l’engagement qui se généralise du fait que des élèves issu·e·s des meilleures écoles aient lancé des organisations militantes. Cela brise une forme de tabou dans la filière : si un·e étudiant·e de Polytechnique a créé cette organisation, alors je me sens légitime à la rejoindre. En fait, la hiérarchie symbolique propre au monde des ingénieur·e·s se retrouve dans ce phénomène d’engagement militant. » Si le leadership en termes de création d’organisations écologiques est donc détenu par les écoles parisiennes, négliger la participation et l’adhésion d’élèves issu·e·s d’écoles hors région parisiennes à ces mobilisations serait inopportun.

 

Des diversités marquées entre les écoles et leur spécialité

 

Car comme nous le raconte Raimbault Deschildre, beaucoup d'étudiant·e·s ingénieur·e·s au sein de son école (l’INSA Rouen) se posent des questions quant aux bienfaits sociaux et écologiques de l’entreprise dans laquelle il ou elle va travailler. « Chacun·e a ses propres critères, sa propre éthique, certain·e·s vont peut-être choisir de travailler chez Total mais dans la filière EnR [ndlr : Énergies Renouvelables ] par exemple. Je dirais qu’à peu près la moitié de la promo se pose des questions sur l'entreprise dans laquelle il ou elle va travailler. Et je pense que cette proportion augmente. Par exemple, cette année, on a reçu des messages d’élèves qui nous demandaient ce que l’on pouvait faire contre la présence de Total au stage-dating de l’école ». Même si aucune action n'a eu lieu, ces nombreux messages sont bien le signe qu’une conscience écologique forte se diffuse au sein des promotions d’ingénieur·e·s.

Autre exemple notable, raconté par Julie Smith, élève en 4ème année à Bordeaux Science Agro (BSA). « L’année dernière, le BDE avait fait une promotion de Coca-Cola, mais celle-ci a été boycottée par les étudiant·e·s. » En réalité, les étudiant·e·s en agronomie, à l’image des « bifurqueur·euse·s » d’Agro Paris Tech, sont plus susceptibles d’être engagé·e·s. pour l’écologie, ou du moins, d’être beaucoup plus intransigeant·e·s. avec les événements ayant lieu au sein de leur école. Tout simplement car leur domaine d’étude est bien plus lié au vivant qu’il ne l’est dans des écoles d'ingénieurs classiques. « Quand je discute avec des ami·e·s.qui sont dans d’autres écoles d’ingé mais même en agroalimentaire par exemple, on est bien plus sensibilisés aux enjeux écologiques en général dans mon école que dans les leurs. Bon, il y a aussi des élèves plus conservateur·rice·s· évidemment dans mon école, mais ce n’est clairement pas la majorité. »

A l’inverse, « la filière BTP [ndlr : Bâtiment et Travaux Publics ] n’est pas la filière la plus écolo du monde de l'ingénierie, en tous cas elle est clairement en retard sur ces questions » nous explique Paul Dubust, étudiant en 4ème année à Builders Ecole d’ingénieur Caen, école spécialisée dans le BTP. Et cela se reflète dans les habitudes et comportements d’une grande partie des étudiant·e·s. « Typiquement, quand j’étais responsable Kfet au BDE de l’école, personne ne voulait manger végé lors des repas, tout ce que voulaient les étudiant·e·s., c’était des bonnes pièces de viandes. » Ses propos illustrent bien l’impact que le domaine d’étude peut avoir quant à la politisation des élèves et leurs possibles engagements en faveur de la cause écologique. « Quand lors de ton stage tu coules 4000 m3 de béton, tu te dis que les engagements écologiques des entreprises ou autres ne valent pas grand-chose, et que c’est surtout de la communication. » Néanmoins, affirmer que la question écologique n’est pas présente dans la filière serait une grossière erreur, car la décarbonation du BTP représente un enjeu majeur pour les écoles et entreprises. « Comme les solutions techniques permettant de rendre la filière BTP durable n’existent pas encore ou sont en plein développement, il y a pas mal d’étudiant·e·s qui souhaitent se rendre utile pour la planète en participant à ces recherches. Surtout quand on te dit à quasiment chaque cours durant tes études que c’est la mission des futur·e·s ingénieur·e·s de décarboner la filière. »

Ainsi, ces mobilisations, bien que inégalement réparties entre les écoles d’ingénieurs, participent à un mouvement dont l’aboutissement pourrait modifier de manière significative le secteur. « Le discours des « bifurqueur·euse·s» d’Agro Paris Tech arrive à un point spécifique, et n’a pas eu lieu avant. Ce qui montre que le processus de politisation prend du temps, et la position minoritaire tenue par les élèves engagé·e·s ne pourrait plus l’être dans peu de temps » ajoute Antoine Bouzin. Car ce qui est certain, c’est que « l’écologie est un vrai vecteur de politisation » conclue-t-il. Peut-être pas au point de faire des étudiant·e·s ingénieures les nouveaux leaders du mouvement écologique. Mais leur rôle au sein du mouvement ne devrait que gagner en importance au fil des mobilisations.

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