top of page

Crédits : Ahmad Al-rubaye - AFP

Irak : Pourquoi et comment la polarisation politique du pays a-t-elle mené à une année entière sans gouvernement ? 

Par Fanette Markwitz

Le 13 octobre 2022, après une année sans gouvernement à la tête du pays, Abdel Latif Rachid est nommé président. Il prête serment et charge Mohammed Chia al-Soudani de former un gouvernement afin de résoudre la crise politique et relancer l'économie irakienne. 

Jusqu’en 2003, Saddam Hussein gouverne l'Irak en tant que Président de la République et mène une brutale dictature. Après avoir envahi le Koweit en 1990, puis déclenché la Guerre du Golf entre l’Irak et les Etats-Unis, le dictateur est accusé d’entretenir des relations avec Al Qaeda, mais aussi d’avoir commis des crimes contre l’humanité et de génocide. Le gouvernement de Saddam Hussein est finalement renversé en 2003. Un gouvernement de transition est alors mis en place et l'ancien dictateur est exécuté. Depuis, les chefs d’Etat se succèdent. 

Au Moyen-Orient, l’Irak est un carrefour entre plusieurs ensembles civilisationnels et religieux. Après l’invasion américaine, le pays est déstabilisé, ce qui provoque plusieurs guerres civiles, la montée du terrorisme et une explosion de la corruption. Dans un pays musulman à près de 95%, entre Islam sunnite et Islam chiite, mais aussi entre monde arabe, persan et turc, l’Irak est un état qui fait preuve d’une grande instabilité politique.

​

De violentes manifestations qui mènent à la démission du Premier ministre

 

Le 1er octobre 2019, des manifestations anti-gouvernementales éclatent dans le pays et plus précisément dans la zone verte. Contrairement au reste de Bagad - la zone rouge - ce quartier au cœur de la capitale est hautement sécurisé depuis sa mise en place en 2003 alors que les combats et les attentats se poursuivaient après la Guerre du Golf.

 

Les manifestants protestent alors contre le chômage (environ 17% en 2019), la corruption, la délinquance des services publiques, la tutelle de l’Iran et réclament la chute du pouvoir. En réaction, la répression étatique fait 470 à 600 morts. Suite à ces révoltes, Adel Abdel-Mehdi, Premier ministre nationaliste, démissione le 29 novembre 2019 et quitte officiellement ses fonctions le 7 mai 2020.  Il est alors remplacé par Moustafa al-Kazimi, qui annonce des législatives anticipées prévues le 6 juin 2021 et reportées au 10 octobre en raison de la pandémie du Covid-19. 

 

Ce sont deux grands partis qui s’opposent et divisent l’Irak : La coalition des factions chiites pro-iran et le courant Sadriste. Concernant la coalition des factions, c’est ce qu’on appelle le Cadre de Coordination, et qui a comme Premier ministre candidat : Mohamed Chia al-Soudani, issu du parti conservateur. De l’autre, le courant Sadriste, est celui de Moqtada Al-Sadr, un parti nationaliste, qui milite pour l’instauration d’un Etat indépendant et libre de toutes influences extérieures. Ses membres occupent également les plus hauts échelons des ministères et sont d'éternels opposants au Cadre de Coordination. Ces deux partis ne s’entendent pas pour former un gouvernement et élire un Premier ministre. 

 

Des législatives controversées en octobre 2021

 

Revendiquées et remportées par Moqtada Al-Sadr, du parti sadriste nationaliste, les élections législatives d’octobre 2021 font polémique. Un responsable du courant sadriste a déclaré à l’Agence France Presse que le parti a obtenu « un nombre approximatif de soixante treize sièges ». Sur les 329 sièges de l’Assemblée irakienne, le courant sadriste est le parti qui en obtient le plus. En revanche, de part les 32 partis et courants représentés à l’assemblée on observe un manque de majorité claire, ce qui obligerait les différentes factions à négocier des « alliances ». La scène politique reste polarisée et les deux partis entament alors de longues tractations pour se mettre d' accord sur un nouveau chef du gouvernement irakien.

 

De plus, une plainte a été déposée par des anciens paramilitaires du Hach Al-Chaabi pour dénoncer des fraudes dans le scrutin. Elle paraît devant la plus haute instance constitutionnelle d’Irak : la Cour Suprême fédérale. Mais celle-ci ratifie, tout de même, les résultats le 27 décembre 2021. Le tribunal fédéral décide de « rejeter la plainte visant à ne pas faire entériner les résultats définitifs des élections et de faire assumer les frais au plaignant » selon le juge Jassem Mohamed Aboud.

 

Manifestations et solutions ?

 

Le 30 juillet, des milliers de partisans du leader politique Moqtada al-Sadr envahissent  le parlement irakien car le courant Sadriste refuse de reconnaître, le candidat du Cadre de Coordination Mohamed Chia al-Soudani, ennemi de Moqtada al-Sadr, au poste de Premier ministre. Il compte tenir une pression maximale contre ses adversaires en rejetant cette candidature. 

 

Des manifestations éclatent alors sur une avenue vers la zone verte. Les manifestants demandent l’accélération de la formation d’un gouvernement et la résolution des problèmes des citoyens qui sont toujours les mêmes : chômage, services publics déliquescents, corruption. Oum Hussein, femme quinquagénaire, se dit « contre le régime qui depuis 20 ans n’a rien fait pour le peuple à part voler l’argent public ». Le peuple vit dans « la pauvreté , la maladie et la faim » selon ses propos rapportés par l’AFP.

 

Les révoltes continuent hors de la capitale et les sadristes prennent soin d’organiser des manifestations en même temps que leurs opposants, qui eux, manifestent vers la zone verte.  Ainsi, depuis que la tâche de former un gouvernement revient à ses concurrents, il se sent en danger et entend obtenir la dissolution de l’assemblée en demandant à ses partisans de déposer en masse des recours devant la justice. Ses volontaires distribuent des plaintes pré-remplies pour les manifestants avant de les envoyer à la justice. 

​

Un nouveau président défendant une conception laïque et anti féodal de la société kurde ?

 

Le parlement irakien tranche alors le 13 octobre 2022 après une longue année de conflits politiques entre les deux partis et de manifestations du peuple irakien. Il sort de l’impasse politique et c’est Abdel Latif Rachid, 78 ans, qui est élu pour un mandat de 4 ans. Il obtient 160 voix face au président sortant Barham Saleh. « L’atout de Latif Rachid est qu’il n’est pas étranger à la scène politique » selon Hamzeh Hadad, interrogé par l’AFP. De plus, la désignation d’un chiite à la tête du gouvernement répond aux exigences de la Constitution irakienne.

 

Le nouveau président charge ensuite l’ancien ministre et député Mohamed Chia al-Soudani de former un gouvernement. Ce militant kurde a intégré pour la première fois un gouvernement de 2003, après la chute de Saddam Hussein et reste en poste jusqu’en 2010 (il était chargé du portefeuille des ressources hydriques). Proche de Jalal Talabani, le fondateur de l’UPK, il occupe depuis 2010 un poste de conseiller présidentiel. Le nouveau président est donc issu de ce parti historique de la minorité kurde, l’Union Patriotique du Kurdistan (UPK) qui défend un conception laïque et anti féodale de la société kurde. Mohamed Chia al-Soudani est un vétéran de la politique et est considéré comme un candidat de compromis dans un contexte politique marqué par la division et la bipolarisation.

 

Dans un pays où le chômage est à 14% et où un quart de la population vit sous le seuil de pauvreté, la population compte sur la formation de ce gouvernement pour redresser le budget et relancer les différentes entreprises. Malgré ça, les citoyens n’ont pas grand espoir : « la santé, l’éducation et les investissements resteront soumis à la corruption » selon Ehsan Shamari, analyste politique. Après quelques semaines de silence, le mouvement sadriste reprend la parole, se prépare à incarner l’opposition et attend les réactions de la population face aux nouvelles mesures prises par le nouveau gouvernement. 

bottom of page